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«La nuit de feu» d’Eric-Emmanuel Schmitt: Le secret gardé

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«La nuit de feu» d’Eric-Emmanuel Schmitt: Le secret gardé

“ليلة النار” لإريك إيمانويل شميت: السر المحفوظ

د. إيمان سليمان Dr.Imane Sleiman[i]

Résumé

د. إيمان سليمان

Attiré par sa passion de découverte et sa soif de l’inconnu, le narrateur de la « La nuit de feu », d’Eric-Emmanuel Schmitt se lance dans ce monde étranger, propice à  la contemplation et à la méditation qu’est le désert algérien. Commence dès lors l’aventure intérieure du narrateur qui se pose des interrogations existentielles sur ses choix idéologiques et philosophiques, son rapport culturel au monde occidental ainsi que sur la création du monde et l’existence de Dieu. Le récit balance entre un retour en arrière et une réflexion sur l’avenir mettant ainsi en relief son sens de l’intuition et sa recherche prémonitoire de la foi.

Mots-clés : littérature, sociétés, actualité, foi, athéisme, autobiographie.

ملخص

منجذبًا بشغفه للاكتشاف وتعطشه للمجهول، ينطلق راوي “ليلة النار” لإريك إيمانويل شميت إلى هذا العالم الغريب الذي يفضي إلى التأمل والتأمل، وهو الصحراء الجزائرية  منذ ذلك الحين تبدأ المغامرة الداخلية للراوي الذي يسأل نفسه أسئلة وجودية حول خياراته الأيديولوجيّة والفلسفيّة، وعلاقته الثقافيّة بالعالم الغربي وكذلك خلق العالم ووجود الله. توازن القصة بين الفلاش باك والتّفكير في المستقبل، ما يسلّط الضوء على إحساسه بالحدس وبحثه المسبق عن الإيمان.

كلمات مفتاح: الأدب، المجتمعات، الأحداث الجارية، الإيمان، الإلحاد، السيرة الذّاتية.

Introduction

« La nuit de feu » (Schmitt, 2015) d’Eric-Emmanuel Schmitt est le récit autobiographique d’une expérience mystique gardée secrète durant 25 ans, dont le titre reprend celui de la nuit mystique de Pascal tel qu’il apparaît dans Les Pensées (Pascal, 1970). Nous l’avons donc lu comme l’aveu surprenant de la source d’inspiration secrète d’une œuvre littéraire riche, poétique, touchant le théâtre et le roman.

La beauté de ce récit tient sans doute au fait qu’il flotte entre le réel et le surnaturel. Il met par là le lecteur face à la double problématique de la foi et de l’athéisme, ce qui le rend d’une actualité brûlante face aux chocs des cultures et des civilisations contemporaines.

En empruntant les voies d’une approche sémiotique et thématique, nous essayerons de montrer comment le récit, partant d’un réalisme prosaïque autour de l’arrivée en Algérie du narrateur avec un ami, pour la réalisation d’un film sur Charles de Foucauld et faisant partie d’un groupe de touristes français, s’empreigne dès le début et progressivement d’un halo poétique et mystérieux. Nous mettrons ainsi en valeur les oppositions culturelles dont le personnage d’Abayghur est le médiateur remarquable, les figures symboliques du feu, du désert et du dromadaire, ainsi que les figures narratives de l’analepse et de la prolepse.

  1. L’espace du désert

En Algérie, le narrateur découvre le mode de vie nomade caractérisé par la sobriété et la simplicité. Malgré le sentiment de dépaysement qu’il connaît, il tente de s’adapter au climat dur, se montre réceptif et sensible aux éléments naturels qui l’entourent et exprime sa joie et son éblouissement devant la beauté et la singularité du lieu.

 

1.1 Dépaysement 

Arrivé en Algérie, le narrateur éprouve une passion immédiate pour le lieu dont la découverte s’apparente à une sorte de magie « Je crois que j’ai aimé Tamanrasset à l’instant même où la ville m’apparut derrière le hublot » (Schmitt, 2015, p. 7).

Or, à la passion de la découverte se mêlent l’angoisse et la peur de ne pas pouvoir s’adapter à un lieu dont il méconnaît les coutumes. Le narrateur n’hésite pas à exprimer son incompréhension des valeurs sociales différentes de ce peuple « L’hospitalité m’a toujours déconcerté » (p. 9). Le climat, le mode de vie, les relations sociales ; tout est différent pour lui.

           Son premier réveil en Algérie signale l’impression d’étrangeté qui se dégage du lieu « Où avais-je dormi ? Des sons nouveaux arrivaient de l’extérieur, des voix feutrées à la prononciation mouillée, des cris verts d’oiseaux […] Où ? » (p. 16) La récurrence de la question « où » marque le dépaysement du narrateur et sa désorientation. Tout en signalant l’ampleur du  contact auditif avec une langue étrangère à travers l’expression imagée « voix feutrées à la prononciation mouillée », il évoque le caractère aigu des bruits qu’il entend. La phrase s’amplifie métaphoriquement pour mettre en valeur les sons des oiseaux « cris verts » (p. 16) qui annoncent le début d’un matin prometteur de découvertes.

          Il prend conscience progressivement de la réalité qui l’entoure : « Algérie, Tamanrasset…Voyage avec Gérard. Je soupirai réjoui de camper aux portes du désert et du jour » (p. 16). L’image du désert est associée au début d’une journée et symbolise par là le départ vers un monde nouveau. Or, le dépaysement crée chez lui un certain malaise et un embarras inexplicable « Pourtant quelque chose me décontenançait. Mais quoi ? À un coup de klaxon, je décelai l’incongru : l’absence du grondement qui caractérise toute ville » (p. 16). Le souvenir des lieux dans lesquels il a toujours vécu s’oppose à la réalité tranquille, exempte de bruits ou d’agitation qu’il est en train de découvrir.

                Tout met en relief le sentiment de déracinement qu’il vit entre deux mondes différents. D’un côté, le monde du confort et de la sécurité que permet la vie urbaine « Voilà, je quittais mes repères, le monde construit, celui des abris, des lits solides, des salles de bains avec eau courante, des toilettes recluses, de l’intimité et de la liberté » (p. 29). D’un autre côté, le monde du désert porteur de toutes sortes de dangers. Dans ce dernier, l’être du narrateur va connaître un changement radical quant aux habitudes d’alimentation, de sommeil et des besoins les plus essentiels du corps « Durant dix jours, j’appartiendrais à un troupeau, je marcherais sans répit, je mangerais dehors, je déféquerais sur le sol, je me laverais peu et je coucherais à la belle étoile, exposé aux scorpions  et autres nuisances sauvages. Tel un nomade » (p. 29).

                Ce contact physique avec la nature – dans ses deux aspects animal et végétal – met en question l’être profond du narrateur. La question « Nomade, moi ? » (p. 29) est une interrogation existentielle qui résume le conflit intérieur entre ses habitudes passées (le moi qui a toujours vécu dans le luxe et le confort) et l’aventure présente (le moi qui abandonne tout et se livre corps et âme aux mystères que le voyage peut offrir). Ainsi, à la paix intérieure succède la peur de la faillite du corps face à l’adversité du lieu. Cette aventure dans le désert est une sorte de redécouverte de soi-même, de ses choix de vie et du mode d’existence qui lui convient.

                Sa visite au désert est une occasion pour lui de se mettre en contact direct avec la nature, de voir de près ses éléments et ses reliefs. Devant la vacuité du lieu et son vide immense, le narrateur s’interroge sur ce que ce voyage pourrait lui apporter « Que compte-t-on voir lorsqu’on regarde un désert ? Rien, si c’est un désert. Voilà exactement ce que nous avions sous les yeux : rien » (p. 49).

Par ailleurs, le narrateur décrit l’état d’agacement et d’irritation qui tourmente les voyageurs « Une certaine nervosité agitait la troupe » (p. 38). Leur trouble provient de ce qu’ils sont incapables de préciser les types de dangers qu’ils peuvent affronter « on ne sort pas indemne» (p. 38).

Marc qui vient visiter l’Algérie avec sa femme Martine redoute ce que le voyage au désert peut provoquer : une variation de l’état moral de celui qui y entre : « On en revient épanoui ou dépressif » (p. 38). L’opposition « épanoui vs dépressif » signale les deux fins contradictoires que le voyageur peut rencontrer. Pour sa part, Martine appréhende le changement que le voyage va entraîner d’autant plus que ce changement est indéfinissable pour elle. Elle réfléchit sur les conséquences de l’aventure sur son être tout entier « Ça me panique. Nous ne serons plus les mêmes dans dix jours » (p. 38).

L’éloignement, la perte de contact avec le monde extérieur, les animaux sauvages, le manque d’outils, la méfiance vis-à-vis de la qualité du soin médical, la mort immédiate, inéluctable sont autant de raisons qui tourmentent les voyageurs. A la peur de Ségolène de se trouver loin de tout support « Moi, c’est l’isolement qui m’épouvante » (p. 39), s’ajoute celle de Marc de manquer de soin médical « Leur venin donne illico la mort » (p. 39).

Réels ou supposés, ces dangers épouvantent les voyageurs et toute tentative de sécurisation est ridiculisée : « A oui ! Il est médecin ? » (p. 39)

            Face à l’inquiétude qui tourmente ses compagnons, le narrateur réclame une certaine métamorphose de son être « Ce que je redoute serait de ne pas changer » (p. 38). À l’encontre des autres voyageurs, le narrateur est prêt à recevoir ce que l’aventure lui offre « Je reculai d’un pas, désireux de fuir ce climat anxiogène » (p. 39).

            Ce « pas » en arrière porte une certaine critique indirecte de l’attitude de ses compagnons. Par leur crainte, leur enfermement et leur refus des différences, ils incarnent les défauts contraires aux vertus de générosité, d’ouverture et de liberté.

1.2 Méditation devant la majesté du lieu.

                Le narrateur s’ouvre au monde du désert avec l’intuition que quelque chose va arriver : « Quelque part mon vrai visage m’attend » (p. 41). Prometteur, le lieu accueille le voyageur et lui réserve une destinée différente, singulière. C’est dans le désert qu’il va trouver une identité authentique, en harmonie avec ses aspirations et qu’il va s’unir au paysage qui l’entoure : « La nuit s’était déjà infiltrée sous ma peau » (p. 50).

Son réveil dans le désert lui révèle la beauté originale et singulière du paysage « L’odeur de l’aube chatouilla mes narines, un parfum de propreté humide. Ma main effleura les galets, lesquels me parurent légèrement embués. Je tâtonnai. Le sable à son tour présentait une surface humectée. Incroyable… Y aurait-il une rosée du désert ? » (p. 64). Les trois points de suspension et l’interrogation marquent l’impossibilité pour le narrateur d’exprimer la majesté du lieu. Le mélange Terre/Eau revêt le paysage d’une beauté inexprimable et singulière par rapport aux autres lieux du monde. Émerveillé, il constate amèrement que les hommes sont incapables de trouver du beau dans la vie « Sur terre, ce ne sont pas les occasions de s’émerveiller qui manquent, mais les émerveillés » (p. 64). Pourtant, pour comprendre le monde, il faut l’aimer, l’admirer dans ses petits détails, se laisser prendre par sa beauté. Les « émerveillés » sont ceux qui sont ravis de ce que la nature leur offre et expriment leur joie de vivre chaque découverte comme un moment d’extase exceptionnel.

Ainsi, la séance d’astronomie présentée par Jean-Pierre lui fait découvrir l’intensité du paysage nocturne. Ce monde qui existe réellement et qu’il peut contempler de près lui procure joie et sérénité. Saisi par le charme du paysage nocturne, le narrateur critique le progrès scientifique qui dégrade le milieu naturel et entrave par les lumières artificielles, la vraie contemplation du monde : « Ici, en l’absence de toute pollution lumineuse due à la civilisation, le cosmos livrait ses splendeurs. Sa contemplation m’aurait suffi… » (p. 68).

Les découvertes éblouissantes se succèdent. En plein désert, sous la chaleur, le narrateur comprend la valeur de l’eau. C’est un élément qui permet de vivre, d’exister et constitue donc un don incomparable de l’univers. Il s’approche de la source d’eau avec une sorte d’humilité qui reconnaît la grandeur de la Création « Nous trempâmes nos mains. L’eau coulait entre nos doigts, précieuse, telle de la poudre d’or. Chaque goutte représentait un miracle. […] Je m’abreuvai avec une sorte de respect sacré, le sentiment de m’initier à un mystère, la boisson, cet incommensurable cadeau » (p. 87).

Par ailleurs, son ascension au sommet du mont Tahat lui permet de voir le paysage dans toute son ampleur : « À mesure que nous progressions en hauteur, nous gagnions un privilège. Tout devenait grandiose. […] Nous franchissions des portes qui nous amenaient vers le ciel » (p. 122-123). La terre apparaît d’emblée sous ses yeux, avec tous ses détails et sa grandeur. À mi-chemin entre la terre et le ciel, le narrateur vit ce moment comme un passage entre deux mondes. Cette montée peut être lue métaphoriquement comme le symbole du détachement progressif de tout son être et d’une élévation transcendante de son âme. Devant la grandeur de la Création, le narrateur vit des instants uniques de contemplation. Être en vie est un grand don ; il suffit de voir le monde pour atteindre la joie d’exister « Une fois arrivé au sommet, une joie abyssale me submergea […] je me réduisais à des yeux qui contemplaient […] je jouissais de voir, de humer, d’exhaler » (p. 123).

Ainsi, sur le chemin de retour, en descendant la montagne, le narrateur est poussé par une grande énergie vitale due au sentiment d’épanouissement et d’élévation qu’il connaît au sommet : « Exalté, je commençai à descendre. J’étais ivre de bonheur. Je marchais. Je sautais. Je m’élançais. Je galopais. Pas question de me retourner. Pas question de vérifier l’itinéraire. Ma puissance m’enchantait. […] Je m’estimais invincible » (p. 125).

Le récit met donc en relief l’emprise de la nature sur le narrateur et la relation qu’il réussit à créer avec tous ses éléments. Cette relation se reflète sur tous les comportements du narrateur et le regard qu’il porte sur ce monde étranger qui l’entoure. Contrairement aux autres touristes qui l’accompagnent dans son voyage, il porte une attention particulière aux caractéristiques culturelles de la société touarègue.

  1. À la rencontre de l’autre

Le narrateur met en contact deux mondes qui s’excluent l’un l’autre. L’Européen enseveli dans ses préjugés, ses convictions préalables, son discours rationnel et scientifique est représenté dans le récit comme étant le signe contraire de l’Africain qui offre sa maison, fait preuve d’une grande hospitalité et crée un contact intime avec la nature qui l’entoure. Ainsi, la présence d’Abayghur, avec ses gestes ancestraux, son souci pour l’autre et son sens du partage et du sacrifice, constitue le fil médiateur entre le narrateur et une certaine ouverture culturelle sur l’autre.

2.1 Contrastes culturels : les mondes qui s’entrechoquent

Dans sa visite au marché de bijoux, le narrateur constate la simplicité des lieux de commerce de bijoux en Algérie par rapport aux boutiques de luxe français « Le marché des bijoux n’avait rien de la place Vendôme. […] les hommes allaient et venaient sans compagnie féminine, si la plupart des bijoux leur étaient destinés, les femmes ne les choisissaient pas » (p. 19). Sa remarque sur la présence exclusive des hommes dans le lieu montre les divergences culturelles entre les indigènes et les touristes. Les sorties de la femme dans les rues sont rares par rapport à la femme européenne. Or, la société touarègue ne sous-estime jamais la grande place que la femme occupe. Dans ses discussions avec le guide Abayghur, le narrateur découvre la situation noble de la femme touareg « Chez les Touareg, les femmes détiennent les fonctions nobles, gardiennes des lois, prêtresses de l’écriture, vigiles de la culture. Peu de peuples respectent autant les femmes » (p. 58).

Ayant la charge de surveiller les applications des lois et le progrès culturel de la société ainsi que la mission de l’apprentissage, la femme touarègue occupe une fonction sacrée qui la rend supérieure, compétente et forte.

En effet, durant son excursion dans le désert, le voyageur découvre les différences culturelles des Touaregs. Contrairement à ses compagnons de voyage, il respecte les traditions vestimentaires des indigènes en harmonie avec le lieu où ils vivent « Ils déambulaient, purs et propres, exploit impossible à moi qui dégoulinait, la poussière collée à ma peau. Comment s’y prenaient-ils ? Même leurs pieds, dans leurs sandales ajourées, restaient soignés ! Dire que nous, Européens, avons un complexe de supériorité… » (p. 26) Le narrateur voit donc dans le refus des touristes de s’adapter aux circonstances du voyage une manifestation d’orgueil et de présomption.

Le regard hautain des touristes se révèle d’emblée dans leurs réactions dédaigneuses quand ils voient Abayghur en train de prier « Dès que Donald désigna la pieuse silhouette au loin, chacun prit un air complice et vaqua de bon cœur à ses occupations » (p. 79). Les regards significatifs dévoilent un certain accord tacite de ne pas porter attention à l’acte de prière ; signe de régression pour eux. Ils considèrent Abayghur comme un individu en retard sur les idées scientifiques de son temps et l’accusent ainsi d’être incapable de faire des choix en dehors du cadre général de sa société. Or, en qualifiant Abayghur de « pieuse silhouette », le narrateur se démarque de ses compatriotes et exprime son respect pour l’indigène. Pour lui, les touristes ne se soucient ni de l’être humain ni de ses convictions et ne respectent pas ses choix culturels ou religieux « Ils sont contents. Ça les réjouit qu’un musulman s’acquitte de ses obligations religieuses au cœur du Sahara. Folklore local. C’était promis sur la brochure. Bravo l’agence ! Merci… » (p. 80). Voir dans les gestes religieux d’Abayghur des rites appartenant au patrimoine de la région est pour le narrateur signe de la supériorité européenne.

Face à cette supériorité, le narrateur valorise le lien qui unit l’indigène à la terre où il vit « Ce que je saisis à travers sa physionomie, c’est qu’il estimait absurde de vouloir se hisser à la pointe du Tahat. Quel intérêt ? Qu’y avait-il à chasser ? À cueillir ? À boire ? Rien… Il ne justifiait pas de tels efforts, notre curiosité lui paraissait une puérilité européenne » (p. 121). Abayghur ne comprend pas la curiosité des touristes et leur désir de découverte, car ce qui constitue pour un européen un paysage amusant, à contempler ou à visiter furtivement est en fait un espace vital pour un indigène. Le narrateur est sensible aux réactions et mimiques d’Abayghur « […] à la différence des touristes, il ne cultivait ni le goût du record, ni celui de la compétition ; à aucun moment il ne se vanterait auprès de ses congénères “d’y être allé” (p. 121-122).

En effet, en représentant le regard des autres voyageurs envers Abayghur, le narrateur critique la société européenne qui cultive des relations superficielles construites sur les apparences et les rivalités. Ainsi, ce manque de compréhension et de respect des choix et des modes de vie des autres se révèle clairement dans l’attitude que les touristes adoptent face à Ségolène, l’ophtalmologiste qui se déclare comme catholique.

Ségolène exprime au narrateur son malaise profond au sein d’une société qui ne tolère pas ses choix intellectuels et spirituels et la rabaissent pour ses pratiques religieuses “[…] s’ils me surprenaient en train de prier, ils seraient déconfits. Pis : je leur ferai honte ! » (p. 80). Elle est sensible à l’attitude méprisante des autres. Face à une société qui refuse toute manifestation de spiritualité et ne croit qu’à la science, Ségolène paraît comme une femme inexpérimentée, non éclairée par le progrès de son temps. “Je me sens si souvent ridicule en témoignant de mon christianisme ! Ridicule ou stupide… je vois une niaise dans les yeux de mes interlocuteurs” (p. 81).

En effet, Thomas, le géologue et Jean-Pierre l’astronome dont la mission est de transmettre le savoir scientifique aux voyageurs, manifestent leur diatribe sur un ton amer et violent “Tiens, voilà la catho !” un gloussement avait complété la réflexion, plein d’une supériorité dédaigneuse » (p. 80). Le narrateur comprend que ses compagnons scientifiques ne tolèrent pas le choix religieux de Ségolène. Il tente ainsi de la consoler en lui évoquant les vraies raisons derrière l’attitude peu respectueuse des autres :

_ Pose-toi la question : pourquoi toi, la chrétienne, tu les embêtes davantage que lui, le musulman ?

_ Ils détestent le christianisme, pas l’islam ?

_ Selon moi, ils ignorent les deux. […] Abayghur peut pratiquer n’importe quel culte, ce sera assez bien pour lui ! Voilà ce qu’ils pensent, nos esprits positifs ! Pourquoi éclairer l’indigène ? À quoi bon le déraciner en lui offrant l’athéisme ? Qu’y gagnerait-il dans cet environnement hostile ? En réalité, ils jugent normal qu’un Africain prie, mais incommodant qu’un Européen le fasse parce qu’ils estiment l’Européen supérieur à l’Africain (p. 83).

Pour le narrateur, les touristes voient l’athéisme comme un signe de modernisme et la croyance comme un signe de régression. Ainsi, ils considèrent l’Occidental comme un être supérieur, éclairé par la science et seul capable de jugement. L’athéisme est donc un choix rationnel, scientifique à la hauteur du niveau intellectuel et scientifique de l’Occidental. Cependant, pour eux, la foi de l’indigène est un choix sentimental, voire un besoin primitif conforme à l’ignorance dans laquelle il se trouve. Ces jugements provenant de la part des deux figures scientifiques sont clairement attaqués par le narrateur qui considère l’astronome et le géologue comme des ignorants et critique leurs discours scientifiques et rationnels.

En effet, la séance d’astronomie présentée par Jean-Pierre renvoyant l’existence du monde à un hasard et reniant ainsi l’existence de Dieu trouve toute son acceptation chez les touristes. Pour ces derniers, un scientifique est le seul susceptible de détenir la vérité suprême sur le monde « Mes compagnons de voyage, la bouche ouverte, les yeux fixés, approuvaient, convaincus. Un à un, ils se levaient et rejoignaient le télescope » (p. 70).

Or, pour le narrateur les efforts des scientifiques ne sont qu’une recherche du savoir « Si Jean-Pierre nous peignait aujourd’hui l’univers selon Hubble, un siècle plus tôt, un savant l’aurait raconté selon Newton, trois siècles avant selon Galilée […] Jadis un poète, un sorcier ou un prêtre auraient déployé leur récit. Depuis que les humains se réunissent dans la nuit mystérieuse, les discours prolifèrent. Comme ils ne supportent pas l’ignorance, les hommes créent des savoirs » (p. 71).

Les noms des différents scientifiques qui se sont succédé dans l’histoire de l’humanité sont un signe qui affirme que la science est un domaine qui ne connaît pas de limites parce que c’est variable, changeable. Le narrateur met donc en doute la science et les théories qu’elle impose à la société. En comparant la nuit de l’atelier astrologique que Jean-Pierre a préparé aux nuits où les humains racontaient des légendes dans des ères dépourvues de science, le narrateur dévalorise la théorie scientifique de l’astronome en la comparant implicitement à une légende sans fondement :

À toute époque, à quelques pas du feu, l’orateur du désert croit détenir la vérité.

– Vous mettez ma théorie en doute ?

– Le temps s’en chargera. Ce soir, vous apportez le dernier cri de la science ; cependant […], la vérité demeure inaccessible (p. 71).

Le narrateur ne s’abstient pas de défier la supériorité de l’astronome en le qualifiant d’« orateur du désert » et en qualifiant la science de « légende ». Il dénigre le statut de l’astronome et discrédite les propos scientifiques qu’il présente. Jean-Pierre devient ainsi quelqu’un qui sait séduire par l’art de parler (tout autour d’un feu comme un sorcier ou un magicien) et non par les vérités scientifiques qu’il prétend avancer. Pour lui, la science se met sur la même échelle que les mythes et les religions montrant par là sa vénération pour tout ce qui construit la connaissance humaine dès le début de l’Histoire : « Je la considère avec attention et respect, comme je considère avec attention et respect les mythes et les religions » (p. 72).

Pour le narrateur, les Occidentaux ne mettent pas en question les doctrines et les opinions qu’ils reçoivent. Ce sont donc des êtres inférieurs intellectuellement contrairement à ce qu’ils prétendent : « […] ils répètent, […] mâchouillent des opinions, des doctrines de masse, des convictions qui ne seraient peut-être pas les leurs s’ils réfléchissent » (p. 81). Épris de modernisme et de science, les Occidentaux choisissent l’athéisme non pas par une vraie réflexion, mais par un désir de se révolter contre les traditions et les coutumes. En croyant avoir les clés de la science, les scientifiques croient détenir la vérité et s’éloignent de Dieu. Ils sont orgueilleux, voire durs envers tous ceux qui n’ont pas les mêmes accès à la science ou qui ne partagent pas leurs mêmes opinions.

Le narrateur lance une critique virulente à la société occidentale qui n’a pas su trouver un moyen de rapprocher les humains, de leur apprendre à se respecter et à tolérer les divergences culturelles malgré le grand progrès scientifique. Ce progrès n’a pas permis à l’homme de vivre en paix et de se sentir valorisé dans sa société.

Nous pouvons constater l’esprit autonome du narrateur susceptible à la fois de s’autoévaluer et de mettre en question les acquis sociaux et culturels de sa société. Son ouverture d’esprit se manifeste clairement dans l’amitié singulière qui naît entre lui et Abayghur, le guide touareg. C’est grâce à cette amitié que le narrateur va retrouver les valeurs humaines authentiques qui lui ouvrent la voie vers la transcendance spirituelle.

2.2 Abayghur : la poésie de l’âme et l’état mystique

Dès la première rencontre, le narrateur éprouve un sentiment d’amour immédiat envers Abayghur. Un lien humain dépassant les frontières des cultures et des différences se crée entre les deux personnages :

– Abayghur est notre guide touareg, un homme du Hoggar […] J’éprouvai un coup de foudre immédiat. […] Mon cœur s’emballa. Il ne s’agissait ni d’un coup de foudre amoureux, ni d’un coup de foudre amical, mais d’un coup de foudre… comment dire… humain. J’adorai aussitôt la civilisation que cet homme incarnait, j’adorai l’Histoire que sa prestance racontait, j’adorai son insolente tranquillité, le sourire dont il nous régalait, un sourire empreint d’accueil et de sérénité, un sourire qui nous promettait des moments envoûtants. (p. 36-37).

L’amour instantané qu’il éprouve envers Abayghur révèle la sensibilité du narrateur-voyageur qui dépeint le touareg comme un être supérieur : « La ligne d’horizon se reflétait dans ses prunelles qu’elle scindait en deux, une moitié de ciel pâle, une moitié de terre sombre […] Il se tenait droit, impénétrable, aussi placide et éternel que le monde » (p. 40). Symboliquement, cette description d’Abayghur le représente comme un médiateur entre la terre et le ciel. Par son maintien et son caractère imposant, le personnage s’entoure d’un certain halo de mystère qui le rend énigmatique.

La rencontre avec Abayghur constitue donc un pont vers la connaissance de l’autre. L’épisode de la fabrication du pain met en relief le don du partage de l’indigène « Il va faire du pain. […] Je l’observai fasciné […] l’ordre humain, les gestes ancestraux, le souci de nourrir les autres me faisaient rallier une apaisante solidarité » (p. 61-62). La fabrication du pain avec sa nécessité pour la vie de l’homme comme son symbolisme pour son esprit est un geste d’éveil à la vie, aux besoins quotidiens pour autrui. C’est une action de grâce exprimée à travers des gestes humains ; des actions authentiques de vérité, du souci pour autrui et du don de soi.

Par ailleurs, l’acte de prière d’Abayghur entraîne le narrateur dans une réflexion profonde sur la relation que le touareg construit avec son Créateur. :

Abayghur priait, tourné vers l’est.

Entre le ciel blanc et la terre craquelée s’ouvrait un vide sans obstacle, tel un immense porte-voix : rien n’empêcherait ses vœux d’atteindre la Mecque.

Discret, le Touareg s’était isolé. Sous le soleil naissant, agenouillé sur un étroit tapis, il me semblait minuscule et colossal. En se prosternant, il reconnaissait humblement l’imperfection de sa nature, certes, mais il sommait Dieu de lui prêter attention (p. 79).

 

Le narrateur évoque un acte de prière réel et authentique. Abayghur connaît sa destination, s’y dirige moralement. Par sa force mentale, il parvient à surpasser l’incapacité de son corps de se déplacer vers la Mecque ; lieu représentatif de L’Islam et destination pour ceux qui veulent retrouver un lien plus proche avec le Créateur. Pour le narrateur, par son extase mystique, Abayghur joint l’humilité de l’être en quête de Dieu au sentiment d’élévation et de grandeur que connaît celui qui s’éloigne de ce monde pour interpeller Dieu. Cet acte de prière prend son ampleur dans la confiance avec laquelle le personnage s’adresse au Créateur. Le narrateur met en relief la force régénératrice qui naît de cette confiance tout en suscitant l’admiration du lecteur par la description des gestes vénérables du Touareg qui semble comme illuminé par son acte de prière.

Ce qui incite le narrateur à poser une question d’ordre spirituel profond : « Qu’est-ce qui importait dans une prière, dire ou se faire écouter ? » (p. 79). Avec Abayghur, le narrateur apprend non seulement à prier, mais également à construire un rapport de confiance avec Dieu, voire un dialogue.

Pour le voyageur, la rencontre avec le touareg est une leçon sur la vie et le monde. La force de la jeunesse, la simplicité des rapports humains et le lien bâti sur l’acceptation de l’autre, voilà ce qui peut définir la relation des deux personnages : « Frétillant, Abayghur confessa que, le matin, il avait caché ces pierres dans mes affaires en allant prier ! Conquis par sa joie, j’éclatai de rire, ce qui redoubla son euphorie » (p. 88). Le jeu d’Abayghur signale le caractère enfantin du personnage. Par son ambivalence, Abayghur suscite l’admiration du narrateur, lequel découvre de nouveaux aspects de la vie, plus dignes, plus sensibles : « Force de la lenteur… Il m’apparut qu’Abayghur connaîtrait le grand amour. Moi, au contraire, j’avais tout fait frénétiquement. Désirer autant qu’aimer » (p. 93). La rencontre entre l’indigène et la fille qu’il aime constitue pour le narrateur une vraie leçon sur le temps, la durée nécessaire au rituel amoureux dans lequel s’engagent la dignité, le respect, la crainte, l’émotion et tout un ensemble de sentiments de l’amour naissant. L’autocritique que le voyageur fait de sa vision des relations humaines se manifeste par l’ironie comparative en relation à l’Occident. Pris par le rythme effréné du modernisme, l’homme occidental ne donne pas du temps aux besoins de son âme ou aux vrais sentiments. La visite au désert constitue pour le narrateur le point de départ vers la vraie redécouverte de son être : « Une fois encore, Abayghur le patient, Abayghur le rêveur, Abayghur l’alangui me semblait plus sage que moi. Un à un le désert pointait mes défauts » (p. 94).

La vertu d’engagement d’Abayghur, sa sensibilité imaginative, sa douceur, sa rêverie, le calme de son caractère et sa capacité à assimiler les choses, entraîne le narrateur dans une réflexion profonde sur les choix déterminants de sa vie. Commence dès lors la quête profonde de soi de la part du narrateur qui oscille entre ses réflexions sur son passé et ses méditations sur les mystères de la mission qu’il vient accomplir en Algérie, recherchant par là le sens de son existence.

  1. Figures et symboles

La beauté du récit tient au fait qu’il part d’un réalisme prosaïque pour se couvrir d’un halo mystérieux entraînant ainsi le lecteur dans différents jeux entre le réel et le surnaturel. À travers les figures narratives de l’analepse et de prolepse ainsi que les figures symboliques de l’ensevelissement, de l’élévation et du feu, le narrateur nous fait vivre son cheminement vers la découverte de soi.

3.1 Jeu d’analepse et de prolepse 

En mission sur Charles de Foucauld, figure mystique emblématique de l’amour et de l’ouverture sur l’autre, le narrateur s’aventure dans le désert algérien. Ce voyage s’avère être pour lui un moment de réflexion sur les choix qu’il a faits dans sa vie, sa place dans ce monde et les principes auxquels il croit « Quelle aventure m’avait conduit au Sahara ? J’avais vingt-huit ans et j’enseignais la philosophie à l’université de Savoie. […] quoique aimant ma discipline, je me défiais du chemin que les gens discernaient devant moi… était-ce le mien ou la suite logique de mes études ? S’agissait-il de ma vie ou de celle d’un autre ?» (p. 21).

Cherchant à se connaître, le narrateur se pose des questions d’ordre existentiel et médite sur les décisions qui caractérisent sa vie. En effet, il exprime à travers les différents retours vers le passé les conflits intérieurs qu’il a endurés dès sa première jeunesse :

Depuis toujours, j’entretiens des relations compliquées avec les miroirs. […] Combien de journées avais-je consacrées à me déchiffrer ? Il ne s’agissait pas de narcissisme, plutôt du désarroi. […] je cherchais en vain le rapport entre cet individu et moi. […] si j’avais choisi mon physique, je l’aurais préféré gracile, à l’image de mes doutes ou de mes interrogations. […] À dix-huit ans, je cessai toute relation avec les miroirs […] Quelle incongruité, je me ressemblais si peu… (p. 42).

La métaphore du miroir révèle son état d’incertitude et l’agitation profonde qu’entraîne le long parcours de la connaissance de soi par lequel il est passé. Des efforts de l’esprit mêlés à une sensibilité extrême signalent à la fois la quête du narrateur d’un savoir rationnel et d’une identité particulière pouvant justifier la place qu’il occupe dans l’univers. Dès sa première enfance, il cherche à comprendre les mystères de la vie. Il relate une scène réalisée par son père durant laquelle ce dernier transforme le salon de la maison en un théâtre afin de montrer les mouvements des astres. Le sentiment d’extase vécu auprès du père éveille la curiosité du narrateur-enfant qui tente de déchiffrer les secrets qui l’entourent :

Voici le Soleil, voici la Terre. […] Où sommes-nous ? […] Quand notre pays se trouve face au Soleil, c’est le jour. […] Si la terre vire, elle emmène cette face-là dans l’ombre. […]

_ As-tu des questions ?

_Oui.

_Laquelle ?

_ Où est Dieu dans tout ça ? (p. 76-77)

C’est par la voie de l’art et de l’imagination que l’enfant de cinq ans accède au sens de l’existence et s’interroge sur le Créateur. Par sa sensibilité enfantine, il a transformé l’explication scientifique et rationnelle de son père en une interrogation existentielle, laquelle demeure sans réponse évidente et claire.

Ainsi, tiraillé entre les incertitudes du passé et l’incrédulité du présent, le narrateur se révolte contre l’ambiguïté de la création, exigeant de comprendre le sens de l’univers « Je regardai le désert sombre autour de moi. Où est Dieu dans tout ça ? Moi non plus, je ne le voyais pas… » (p. 78)

Pour le narrateur le mystère qui entoure le sujet du Créateur ainsi que l’imperfection du monde renforcent les suspicions sur sa présence «  […] lorsque je vois les ratages de la création, tsunamis, tempêtes, tremblements de terre, espèces anéanties, infirmités diverses affectant les vivants, virus mortels ou bactéries tueuses, je me dis que Dieu, comme artisan, n’est pas un maître, mais un apprenti » (p. 100).

Le narrateur est incapable d’accepter l’absence d’un Dieu ne réagissant pas devant tant de manques. Les problèmes qui tracassent les humains : maladie, guerres, phénomènes géologiques violents ne sont qu’une preuve du manque de celui qui a créé. Si Dieu existe, il doit, par sa force qui lui est naturelle et son pouvoir de domination, empêcher que tout cela n’arrive. La non-intervention de Dieu dans est donc la preuve suffisante de son inexistence.

Nous pouvons lire l’agnosticisme du narrateur et ses doutes face au processus du développement de l’univers et la place que l’homme occupe dans ce processus « […] Comment garantir que l’homme serait le but de l’univers ? L’univers a-t-il d’ailleurs un but ?  (p. 98)»

Ses réflexions sur le destin inexorable conduisant l’homme au néant mettent sur scène la thématique du conflit existentiel Vie-Mort qui maintient le narrateur dans ses inquiétudes et ses perturbations. Incapable de résister au passage du temps, l’homme est une créature fragile vivant une déstabilisation profonde :

Quelque chose me perturbait… l’insolite s’imposait. Je me sentais nu. Exilé. Fragile. Seul. Sans recours. Comment pourrai-je apprivoiser l’inconnu ? Le ramener au banal ? […] j’étais englouti dans un coin de l’univers, un monde en expansion permanente, un cosmos de quatorze milliards d’années qui subsisterait au-delà de moi. […] je gisais, poussière au milieu de l’immense, futile poussière de matière, négligeable poussière de temps. (p. 111-112)

Dans cette prise de conscience de sa vulnérabilité et de son dépouillement total, le narrateur projette ses angoisses sur l’avenir mettant ainsi en relief sa recherche du vrai chemin qu’il peut entreprendre :

Cette retraite au désert allait me permettre de progresser. Devais-je continuer les spéculations philosophiques ? Et lesquelles ? Devais-je plutôt investir l’enseignement ? devais-je me dédier à l’écriture ? bref, étais-je un érudit ? Un penseur, un professeur, un artiste ? Autre chose encore ? Autre chose ou… rien. Rien peut-être… […] J’étais au carrefour de moi-même, pas sur ma route. […] Aujourd’hui en rédigeant ce paragraphe, je distingue mieux la question, car je possède la réponse qui allait m’être fournie trois jours après d’une façon bouleversante (p. 44).

Figure de suspens, la prolepse annonce les prémices du changement du narrateur qui éprouve l’intuition d’une variation qu’il va connaître. Tout est remis en question ; choix de vie, de carrière, de voies intellectuelles et culturelles. Par l’expression « la réponse qui allait m’être fournie », le narrateur maintient le lecteur en état d’attente : qui va lui offrir la réponse sur les interrogations qui le tracassent ? Et comment ? Il réussit donc à susciter notre curiosité nous entraînant dans un jeu entre le passé, le présent et l’avenir et nous incitant à attendre avec lui les réponses qu’il cherche : « À cet instant, comment aurais-je pu imaginer que Dieu m’entendait et qu’il me répondrait quelques jours plus tard ? » (p. 105).

Ainsi, le narrateur se dirige vers le mont Tahat, le sommet le plus haut du Hoggar avec autant de méfiances que de questionnements. Sa perte après la visite est le moment ultime du récit durant lequel le narrateur, animé par une vive énergie, dévale la montagne sans attendre ses compagnons. Arrivé en bas, un peu avant le coucher du soleil, il découvre qu’il est seul, perdu dans un endroit immense et incapable de retrouver le chemin du retour. « Un silence tranchant. Définitif. Maintenant, c’est clair : je suis perdu » (p. 128).

Le vide tout autour de lui accentue son indécision. Comment va-t-il affronter ces instants de perte et quelle fin prend une telle aventure pour un individu qui s’engage dans des controverses inexplicables ?

3.2 Empreinte poétique

Le narrateur se perd dans un lieu inconnu. La beauté de cet épisode provient du fait qu’il flotte entre le surnaturel et le réel. Les figures de l’ensevelissement et de l’élévation montrent symboliquement le détachement du narrateur et sa méditation transcendantale. Il nous surprend par l’image du feu qui s’illumine lors de la nuit lui ouvrant le chemin de la spiritualité et l’amenant vers la foi. L’angoisse cède la place à la confiance et le narrateur croyant reconnaît l’impuissance humaine à comprendre le monde dans son incommensurabilité.

L’épisode de l’ensevelissement relate l’extrême danger dans lequel se trouve le personnage et sa recherche de protection au sein de la terre. Son ensevelissement sous le sable peut être lu métaphoriquement comme un retour aux origines de la création. La terre-mère, lieu de protection et d’intimité, est le dernier refuge pour le voyageur perdu, désespéré. Corps dans le sable, yeux rivés sur le ciel, pouvons-nous lire cela comme une invitation de la part du narrateur à s’interroger sur la place qu’occupe l’individu dans ce monde entre d’une part une terre qui va, tôt ou tard, le porter et, d’autre part un ciel qui le surveille :

Enseveli. Calé dans mon sarcophage de sable, je tiens mon visage face à la nuit […]

Enseveli…

Combien de temps vais-je croupir dans ce silence rocheux ouvert sur les galaxies ? […]

Enseveli…

[…] je m’effacerai bientôt dans la poussière. […] Mourir plutôt qu’attendre la mort. Cette paix-là, la paix du néant, m’attire plus que l’intolérable lucidité à laquelle mon esprit me contraint.

Enseveli ! (p. 133-134)

Dans Le dictionnaire des symboles, le sable est considéré comme un élément protecteur, susceptible de redonner à l’homme son caractère premier, un être dépouillé de tout péché, de toute souillure physique ou morale « […] Il est purificateur, liquide comme l’eau, abrasif comme le feu. Facile à pénétrer et plastique, […] il est un symbole de matrice. Le plaisir que l’on éprouve à marcher sur le sable, à s’étendre sur lui, à s’enfoncer dans sa masse souple [..] C’est effectivement comme une recherche de repos, de sécurité, de régénération » (Chevalier, Gheerbrat, 1973, p. 838).

En arrêtant tout mouvement, le narrateur prend conscience du passage du temps et de l’aspect périssable et destructible de l’existence. La mort est représentée symboliquement comme une phase ultime et nécessaire qui nous affirme que nous sommes vivants, qui nous pousse finalement à nous détacher de notre réalité conflictuelle « Toutes les initiations traversent une phase de mort, avant d’ouvrir l’accès à une nouvelle vie. En ce sens, elle a une valeur psychologique : elle délivre les forces négatives et régressives, elle dématérialise et libère les forces ascensionnelles de l’esprit » (Chevalier, Gheerbrat, 1973, p. 650).

Ainsi libéré, un individu peut affronter le vide que connote la mort avec cette « paix » qu’évoque le narrateur. De là va naître le passage de ce dernier du désarroi présent à la confiance paisible en une autorité supérieure dont il a senti la présence et qui l’a soulevé vers le haut :

Que se passe-t-il ?

Il me semble que je m’émousse… que je me détache… ou que l’on me hisse… […]

Je m’élève, je dépasse le sable, l’amas de rochers et… je flotte.

Incroyable : j’ai deux corps ! L’un sur terre, l’autre en l’air. […]

La force insiste […] Une paix m’envahit […] Mon sang bat fort. Un bonheur excessif. J’ai confiance (Schmitt, 2015, p. 134-135 ).

L’expérience prend toute son ampleur d’autant plus qu’elle est personnelle et que le narrateur s’unifie à la force qui l’élève et s’imprègne de son pouvoir :

Joie.

Flamme.

La force fonce. Je me laisse prendre. Elle me pénètre le corps, l’esprit. Me voici irradié ! J’épouse la lumière. […]

J’embrasse…

J’embrase…

Flamme.

Je suis flamme.

[…]

Incendié, je m’approche d’une présence. Plus j’avance, moins je doute. Plus j’avance, moins je questionne. Plus j’avance, plus l’évidence s’impose.

Tout a un sens. » (Schmitt, 2015, p. 136-137 ).

Le symbolisme du feu met en relief sa puissance « régénératrice, purificatrice et illuminatrice. » (Chevalier, Gheerbrat, 1973, p. 435-437). Cet épisode du récit relate le cheminement du narrateur vers la croyance « Tout a un sens. ». Un évènement empreint d’imaginaire et de sensibilité qui entraîne le lecteur dans un univers sublime, transcendant :

[…] une certitude brille au-dessus de tout : Il existe.

Qui ?

Je ne sais pas Le nommer. Lui ne s’est jamais nommé.

Il existe.

Qui ?

Qui est mon ravisseur ? Qui m’a arraché aux ravins et m’a régalé de joie ?

[…]

Dieu ? Pourquoi pas…

Oui, disons Dieu ! Si ce n’est pas son nom, ça reste le moins saugrenu pour l’appeler ».

Dieu, je l’ai atteint par le cœur. Ou il a atteint mon cœur.

[…]

Que m’a-t-Il enseigné ?

« Tout a un sens, tout est justifié ».

[…]

« Confiance », me souffle la force.

Je souris en songeant au cadeau que je viens de recevoir. La foi…

[…] Soulagé, je ferme mes yeux trop secs et m’endors enfin (Schmitt, 2015, p. 140- 141-142-143).

Joie, sérénité, confiance, tranquillité intérieure face à la précarité du monde, le narrateur se détache de sa nature humaine, vit un moment spirituel unique et en revient réjoui, illuminé par ce qu’il va appeler « la foi ». Le vrai sens de la vie, le narrateur le retrouve à travers la sensibilité, l’affectivité, voire le cheminement intérieur. Reste donc, pour le narrateur, à s’interroger sur sa mission sur cette terre et le nouvel itinéraire que va prendre sa vie : « Pourquoi transformer ma révélation en secret ? Dieu ne pouvait s’infliger un témoin plus médiocre […] dans quel dessein m’avait-il choisi ? Pourquoi moi ? (Schmitt, 2015, p. 156- 157).

Le narrateur souligne son hésitation à relater aux autres touristes les moments de révélation vécus lançant ainsi une grande interrogation métaphysique sur la relation que l’homme, avide de questions, entretient avec l’Être suprême. Cette hésitation prend d’autres sens pour le lecteur d’autant plus que les voyageurs racontent au narrateur les différentes tentatives menées pour le retrouver “Si tu avais vu les flambées qu’Abayghur a faites cette nuit ! s’exclama Donald. […] des feux d’Américains, des brasiers larges, puissants, avec des flammes hautes. Incroyable… Je souris, songeant à l’autre feu que j’avais rencontré durant les mêmes heures”(Schmitt, 2015, p. 154).

Le récit du guide touristique Donald sur le feu qu’Abayghur a allumé durant la nuit pour retrouver le narrateur brouille les pistes pour le lecteur. Le feu que le narrateur a vu est-il le même que celui d’Abayghur ? Et si c’est le même feu, quel sens l’aventure métaphysique prend-elle ? D’où vient donc la lumière, de l’intérieur ou de l’extérieur ? Le narrateur invite-t-il par là le lecteur à retrouver sa propre source de lumière élévatrice ?

Nous suivons le chemin exceptionnel d’un homme complètement transfiguré par le voyage qu’il fait. Venant en Algérie afin d’écrire un scénario sur la vie de Charles de Foucauld, le narrateur s’imprègne du parcours mystique de l’ermite, lequel devient sien :

Charles de Foucauld […] voilà maintenant que mon sort et le sien s’entremêlaient d’une manière intime.. Charles de Foucauld, noceur, mondain, avait connu une révélation mystique un jour d’octobre dans l’église Saint-Augustin à Paris. En écho, je venais de vivre la même au pied du Hoggar. Il avait vingt-huit ans. Moi aussi. Charles de Foucauld s’était converti après cette illumination. J’étais en train de le faire. Rien ne se ressemblait. Tout concordait (Schmitt, 2015, p. 165- 166).

Âge, mode de vie, vision illuminative ; il opère un parallélisme entre deux histoires qui se croisent. Ce qui unit donc les humains c’est qu’ils puissent s’acheminer ensemble, en chœur vers la connaissance et le savoir.

Ainsi, nous lisons son cri existentiel “Et s’il me cherche, qu’il me trouve !” (Schmitt, 2015, p. 105). comme une allusion évidente à Pascal dans Les Pensées : “Tu ne me chercherais pas si ne m’avais pas déjà trouvé”. “La nuit de feu” s’inscrit dans ce long chemin à la recherche de la vérité mené par les penseurs dont les destins s’enchevêtrent et se complètent.

Le narrateur revient portant ce grand cadeau qu’est la foi. Une nouvelle prise de conscience est rendue possible suite à son expérience mystique :

Mon regard changeait sur son attitude. Je la comprenais. Ecrasé au sol, Abayghur se soumettait à l’infini […] Il rendait grâce. Il remerciait Dieu d’être en vie, Lui réclamant la force de se comporter toujours en mieux.

Cette hygiène spirituelle, j’en éprouvais désormais le besoin. Et, pour la première fois, gêné, timide, je me mis à prier. Je ne savais pas comment faire… Alors, par réflexe d’imitation, je m’agenouillai et joignis mes paumes face au crépuscule […] Au début, je ne songeais qu’à moi… puis je commençai à me détacher, à lâcher mes désirs… pour devenir translucide, aérien (Schmitt, 2015, p. 168).

Le narrateur comprend dès lors les gestes de prière du Touareg. Par réflexe enfantin, il se met à prier, se détachant métaphoriquement de la souillure du monde pour s’engager dans la tentative de la purification “hygiène”. Dans sa prière, il passe de l’isolement et de l’humilité au remerciement. Sa prière est une requête de la sollicitation de Dieu, de son accompagnement. Prier c’est accepter sa nature humaine, reconnaître la grandeur de Dieu et s’unifier à Lui. Abayghur est la figure emblématique de cette transfiguration par l’acte de prière. Le destin du narrateur et de l’indigène se croisent. Ainsi, l’adieu avec Abayghur dote le récit d’une certaine auréole poétique, portant le message essentiel de l’œuvre lancé par le touareg “N’oublie pas l’inoubliable”  (Schmitt, 2015, p. 179).

L’originalité de cette expérience est qu’elle se veut le témoignage d’un amour qui s’éveille. Par le biais de la foi, le narrateur retrouve un lien avec l’humanité entière. C’est une foi qui rapproche et qui porte attention et respect. Donc face à un Occident qui rejette toute sorte de transcendance et de sacré et à l’encontre des principes fanatiques et intégristes, la foi peut être un moyen de rapprocher les humains.

                              

الهوامش

[i] -Docteure d’Etat en langue et littérature françaises de l’Université Libanaise, spécialisée en théâtre contemporain. Elle a enseigné à l’université libanaise dans le bureau des langues, professeure et coordinatrice de langue et de littérature françaises pour les cycles complémentaire et secondaire. Elle est l’auteure d’un article intitulé « Le théâtre koltésien : un refuge fictionnel pour les minorités » publié dans Manarat Sakafiya. Email : imsleiman@hotmail.com

دكتوراه دولة في اللغة الفرنسية وآدابها من الجامعة اللبنانية، تخصص المسرح المعاصر. قامت بالتدريس في الجامعة اللبنانية في مكتب اللغات، أستاذة ومنسقة اللغة الفرنسية وآدابها للمرحلتين التكميلية والثانوية. وهي مؤلفة مقال بعنوان “المسرح الكولتيسي: ملجأ خيالي للأقليات” منشور في منارة السقفية.

                              

Références bibliographiques

 

Corpus

-1Eric-Emmanuel Schmitt 2015. La nuit de feu. Éditions Albin Michel.

 

Ouvrages

2-Chareaudeau Patrick 1992. Grammaire du sens et de l’expression. Hachette.

3-Genette Gérard  1972. Figure III. Édition Seuil.

4-Chevalier Jean, Gheerbrat Alain, 1973. Dictionnaire des symboles, Seghers.

Pascal Blaise, 1970. Les pensées.

Sitographie

5-Entretiens avec Eric-Emmanuel Schmitt :

-6https://www.youtube.com/watch?v=m06GCJUOHTs

-7https://www.youtube.com/watch?v=_j27xftMT-4

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