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Le désenchantement dans les sociétés occidentales modernes: hyperréalisme et transgression dans Sérotonine de Michel Houellebecq. Approche sémiotique

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Le désenchantement dans les sociétés occidentales modernes: hyperréalisme et transgression dans Sérotonine de Michel Houellebecq. Approche sémiotique

خيبة الأمل في المجتمعات الغربية الحديثة: الواقعية المفرطة والتجاوز في السيروتونين بقلم ميشيل ويلبيك ــ النهج السيميائي

 د ـ جيهان حربDr. Jihane Harb[i]

Résumé

د ـ جيهان حرب

L’étude suivante se propose de jeter un éclairage sur le rôle de la littérature dans la représentation des problèmes actuels liés à la modernité. En d’autres termes, un problème éminent se présente, celui des divers aspects que peut revêtir le désenchantement dans la littérature contemporaine. C’est pourquoi, notre communication, comme première ébauche de cette entreprise, sera consacrée à une lecture des significations que peut prendre le désenchantement dans la société moderne en nous intéressant précisément à la peinture hyperréaliste de la société et à la transgression qui s’effectue au moyen de l’écriture dans Sérotonine de Michel Houellebecq. De fait, nous avons trouvé que, grâce à sa richesse significative, le roman contemporain constitue un terrain fertile pour dresser un portrait du malaise moderne de la société. D’où le questionnement suivant : Comment le narrateur parvient-il à rendre compte du désenchantement de la société moderne dans Sérotonine de Michel Houellebecq ? Comment la frustration et la transgression, entre autres, sont-elles mises à jour par la poétique romanesque audacieuse de cet auteur? C’est ce qui constituera l’objectif de notre étude en nous basant sur les apports théoriques de l’approche sémiotique, entre autres, la phénoménologie du langage de Jean-Claude Coquet, linguiste et sémioticien français créateur de la sémiotique subjectale, qui se situe dans la lignée de Merleau-Ponty, de Greimas et de Benveniste.

Mots-clés : hyperréalisme – prise – reprise – personnage – malaise – transgression –effacement – quasi sujet- sujet- sémiotique subjectale- non sujet- effacement- instance énonçante- instance judicative, instance d’origine- instance de réception- prolixité – style- répétition – écriture.

الملخص

تهدف هذه الدراسة إلى تسليط الضوء على دور الأدب في تمثيل المشكلات الراهنة المرتبطة بالحداثة. بمعنى آخر، هناك مشكلة بارزة تطرح نفسها، وهي مشكلة الجوانب المختلفة التي يمكن أن يأخذها خيبة الأمل في الأدب المعاصر. ولهذا السبب، سيتم تخصيص تواصلنا، كمسودة أولى لهذا المشروع، لقراءة المعاني التي يمكن أن يأخذها التحرر من الوهم في المجتمع الحديث من خلال التركيز بشكل محدد على اللوحة الواقعية المفرطة للمجتمع والانتهاك الذي يحدث عن طريق الكتابة. في السيروتونين بواسطة ميشيل ويلبيك. وفي الواقع، وجدنا أن الرواية المعاصرة، بفضل ثرائها الكبير، تشكل أرضا خصبة لرسم صورة لضيق المجتمع الحديث. ومن هنا السؤال التالي: كيف يتمكن الراوي من تفسير خيبة أمل المجتمع الحديث في السيروتونين لميشيل ويلبيك؟ كيف يتم تسليط الضوء على الإحباط والانتهاك، من بين أمور أخرى، من خلال الشعر الرومانسي الجريء لهذا المؤلف؟ وهذا سيشكل هدف دراستنا، استنادا إلى المساهمات النظرية للمقاربة السيميائية، من بين أمور أخرى، فينومينولوجيا اللغة عند جان كلود كوكيه، اللغوي والسيميائي الفرنسي المبدع للسيميائية الذاتية، والذي ينتمي إلى سلالة ميرلو- بونتي وجريماس وبنفنيست.

كلمات مفتاحية: الواقعية المفرطة – الالتقاط – الاستئناف – الشخصية – القلق – التعدي – المحو – شبه الذات – الذات – السيميائية الذاتية – اللاذات – المحو – المثال النطقي – المثال القضائي، مثال الأصل – مثال التلقي – ​​الإطالات – الأسلوب – التكرار – الكتابة.

Introduction

Auteur scandaleux par son style et ses idées, Houellebecq est l’un des écrivains les plus controversés du paysage français. La réception de son œuvre traduite dans plusieurs langues a toujours été de notoriété publique bien que polémique. Dans son récent roman, Sérotonine, il poursuit sa tentative de montrer une certaine vision « noire » du monde moderne. En effet, la fiction houellebecquienne ressemble à une science du monde social, transcrite avec une certaine méfiance envers la vie et un pessimisme schopenhauerien. Toute une sorte de négativité imprègne le roman qui relate la misère sociale et sexuelle de l’homme occidental. En fait, l’auteur procède à une critique acerbe des sociétés occidentales, en particulier l’idolâtrie de l’argent, de la sexualité, et du progrès scientifique et technique.

Ainsi, l’auteur mène une quête déjà entamée depuis le début de sa carrière d’écrivain, qui est celle de transposer un univers submergé par les problèmes majeurs de la vie actuelle. Il s’agit, en fait, dans Sérotonine, des mésaventures professionnelles et affectives de Florent-Claude Labrouste, ingénieur agronome quadragénaire et dépressif qui travaille dans la direction régionale du ministère de l’Agriculture. Or, les diverses tribulations que le personnage connaît et relate tout au long du roman génèrent chez lui divers réflexes et réactions, en réponse à son mal de vivre. En proie au désenchantement existentiel, il est sujet à toutes sortes d’instabilités qui le poussent jusqu’à l’effacement progressif de toutes les sphères de la société.

Dans ce qui suit, nous verrons ainsi que le désenchantement aigu affectant la société et par là-même l’individu, est peint avec un hyperréalisme poignant, que nous définirons ultérieurement, pour ne pas dire un « réalisme dépressif » (http://www.fabula.org/colloques/document4413.php, page consultée le 29 juillet 2019). Il s’agit dans le roman d’une peinture hyperréaliste de la société française, de la reprise narrative qu’entreprend un personnage déprimé et impuissant, un « quasi sujet » (Coquet, 2007, p. 36-37), une instance-frontière entre le sujet et le non-sujet tendant à l’effacement systématique. L’attitude qu’il adopte est à même d’affecter les instances énonçantes, notions propres à la sémiotique subjectale : l’instance projetée en narrateur se trouve en miroir avec l’instance de réception.

En effet, l’auteur peint avec hyperréalisme une société qui avance à une rapidité vertigineuse sous la bannière d’un prétendu progrès social pourtant vidé de sa substance. Nous verrons, dans ce qui suit, que la peinture hyperréaliste de la société répond parfaitement à ce que Coquet nomme la reprise. Ce dont nous parlerons dans ce qui suit.

  • Prise et reprise 

Nous sommes dans Sérotonine dans le moment de la reprise, celui de la narration des événements qui ont eu lieu. C’est ainsi que le moment de l’écriture correspond à la reprise, celle de la narration du vécu du narrateur.

Ce vécu est narré d’une façon hyperréaliste en reproduisant l’atmosphère de désenchantement qui règne sur le monde occidental.  En effet, le narrateur raconte en détails certaines scènes qui traduisent la morosité et la sinistrose, à l’instar de l’ambiance de désillusion qui règne sur le domaine agricole français. Le fait qui illustre cette souffrance se présente dans ce cadre agricole, lors d’une réunion syndicale où une centaine de paysans et d’agriculteurs se soulèvent contre la politique française qui permet au lait irlandais et brésilien de passer les frontières à un prix dérisoire. Cette politique affecte la commercialisation du lait français et impacte négativement l’agriculture qui s’avère comme le métier le plus à risque.

En outre, nous remarquons que l’auteur, ancien ingénieur agronome, prend la défense des éleveurs français menacés de disparition à cause de la politique de libre-échange de l’Union européenne et du système de la grande distribution. Nous allons examiner les relations intrinsèques que le texte ou la reprise entretient avec le réel dans le discours d’Aymeric, l’ami intime du narrateur, quand ce dernier lui rend visite au château d’Olonde :

Tout d’abord, Houellebecq mentionne le château d’Olonde, haut-lieu historique normand (Besnard, normandie.canalblog.com/archives/2019/01/14/37016367.html) comme symbole d’un monde très ancien et révolu face à la modernité. Au fil des pages, Houellebecq nous invite à décrypter le danger qu’encourt l’agriculture française car le nombre d’agriculteurs a énormément baissé depuis cinquante ans en France. Ce qui se passe en ce moment en France, c’est le gros déclin que connaît le domaine agricole, d’autant plus qu’un grand nombre d’agriculteurs se suicide à cause de la détresse résultant de ce déclin. Nous verrons dans le roman qu’Aymeric illustre l’exemple du suicide quand il prend la tête d’une fronde d’éleveurs normands et assiste au blocage de l’autoroute pour se faire fusiller. Il incarne par excellence la figure de l’agriculteur français honnête qui ne travaille ni dans l’élevage industriel ni aux OGM. En fait, Aymeric se réveille, tel Sisyphe, tous les jours pour traire les vaches en Normandie ; il a fait construire des bungalows pour les touristes dans sa résidence provinciale dans une tentative de garder le patrimoine. Or, ce personnage désabusé, issu d’une famille noble, se voit malheureusement en train de dilapider l’héritage paternel en travaillant sans relâche pour une agriculture respectueuse des consommateurs et de l’environnement.

L’on dirait que l’auteur, à travers ce personnage désabusé, dresse fidèlement un tableau du désenchantement des agriculteurs français suicidaires, d’après une étude publiée par Santé publique selon Patrick Maurin (https://fr.sputniknews.com/france/201905291041280885-macron-face-au-desarroi-des-agriculteurs). Ce dernier affirme que le principal problème réside dans les prix d’achat faibles des produits agricoles mettant les agriculteurs dans des situations intenables. En effet, comme le disait Maurice Halbwachs, l’un des successeurs de Durkheim, dans Les Causes du suicide, qui fut aussi l’un des analystes des causes du suicide dans les années trente, le suicide réside dans la misère des ouvriers qui chôment, les banqueroutes, et les ruines. Il s’agit en fait d’un sentiment sournois d’oppression qui pèse sur toutes les âmes, du fait que les hommes participent moins à une vie économique qui les dépasse. En somme, dans une société où l’homme, face aux fragilisations sociales, affectives, relationnelles, et psychologiques, affronte l’impossibilité de percevoir des perspectives de vie : le seul combat possible qui se présente est l’effacement ou le suicide.

Il est bon de savoir que les événements racontés par le narrateur défilent comme dans un film projeté sur un écran qui nous restitue le monde mais en le vidant de sa réalité et de son inscription dans le présent. De là, s’instaure l’idée que la prise ne coïncide jamais avec la reprise : ce que nous voyons dans le plan n’est toujours qu’un souvenir, qu’une trace d’un monde absent et passé, d’un monde perdu. Cela rejoint l’idée de Kierkegaard, où il est question de disserter ou de retrouver un temps perdu. Par conséquent, les moments de la reprise sont reproduits dans le roman avec une précision remarquable, à l’instar de l’art hyperréaliste car « les œuvres hyperréalistes combinent l’imaginaire métaphorique et violent de l’artiste à une capacité de reproduire la réalité avec une exactitude choquante. » (http://www.artiste.org/mouvements/hyperrealisme).

A cela s’ajoute la nécessité du traitement stylistique des spécificités de l’écriture du roman dont on s’est rendue compte, d’autant plus que deux univers apparaissent dans la sémiotique subjectale : l’un, celui de la pensée et de son support, le logos ; l’autre, celui de la phusis, de la nature. La question centrale est donc celle de l’articulation entre les deux univers, de la traduction, dit encore Coquet, de la phusis dans le logos.

D’où notre intérêt porté à l’écriture dans la reprise qui porte les traces du désenchantement, où la prolixité et le ressassement, expression du malaise qu’endure le personnage, constituent des éléments importants de transgression dans l’économie du roman.

  • La prolixité

Houellebecq a dit, et applique le principe, qu’un style existe avant tout parce qu’on a quelque chose à dire. Certains détracteurs critiquant le style de l’écrivain, ont déclaré que sa construction syntaxique et sa grammaire sont pauvres et répétitives et que son lexique est trop spécifique (https://www.revuedesdeuxmondes.fr/a-propos-du-style-de-houellebecq). De même, Houellebecq a été accusé d’imposture, et d’absence de style (Estier, 2015).

En examinant le style dans le roman, nous avons pu remarquer qu’il traduit le désenchantement propre au personnage narrateur dont la prolixité constitue un trait fondamental. En fait, les phrases dans le roman sont longuement développées, contenant beaucoup de détails et d’enchaînements causaux comme les connecteurs logiques ; les caractérisants et les modalisateurs abondent et certaines informations sont reprises.

A cet égard, nous examinerons l’exemple suivant :

« Un simple gaijin comme moi, même pas issu d’un milieu hors du commun, tout juste capable de ramener un salaire confortable sans être mirobolant, aurait dû normalement se sentir infiniment honoré de partager l’existence d’une Japonaise […] j’étais à peine digne de dénouer ses sandales cela allait de soi, le problème est que je manifestais une indifférence de plus en plus grossière à son statut et au mien, un soir en allant chercher des bières dans le frigidaire du bas je me heurtai à elle dans la cuisine et laissai échapper un « Pousse-toi grosse salope » avant de me saisir du pack de San Miguel et d’un chorizo entamé, […] et je pense qu’elle utilisa abondamment Skype durant ces quelques jours où je me résignai à abandonner les producteurs d’abricots du Roussillon engagés dans leur descente vers l’anéantissement, mon indifférence à l’époque aux producteurs d’abricots du Roussillon me paraît aujourd’hui un signe précurseur de cette indifférence que je manifestai au moment décisif pour les producteurs laitiers du Calvados et de la Manche, en même temps que de cette indifférence plus fondamentale que je devais ensuite développer à l’égard de mon propre destin, et qui me faisait en ce moment rechercher avec avidité la compagnie des seniors, […] je connaissais parfaitement les dérives de l’agro-industrie, leur militantisme aurait acquis à mon contact de la consistance, […] je suppose que je n’étais moi-même que superficiellement accessible, j’avais été détruit par le retour de Yuzu, par l’évidence qu’il fallait que je me débarrasse de Yuzu et que je m’en débarrasse le plus vite possible […]. » (Houellebecq, 2019, p. 32…35)

Dans cet exemple, nous remarquons qu’une phrase s’étend sur plusieurs pages ; le narrateur y aborde plusieurs sujets. Le point de départ de cet épanchement est la volonté de rompre avec l’amante japonaise Yuzu, puis le narrateur se remémore le problème des agriculteurs et celui des seniors, et révèle son indifférence à l’égard de tout ce qui l’entoure. Il semble que dans la reprise le personnage narrateur soit atteint d’une maladie psychique qui dépasse la dépression, à savoir la prolixité ou la loquacité : un certain besoin irrésistible de s’épancher existe chez notre ingénieur agronome, qui, pourtant se présente souvent comme muet en société. L’on dirait que le bavardage « mental » sert à combler un vide intérieur, ou une certaine carence affective.

Par conséquent, la prolixité linguistique est une constante stylistique de ce roman où l’auteur aborde plusieurs sujets en même temps. Le lecteur imagine que tous les sujets, bien qu’ils soient au premier abord différents et diversifiées, sont reliés par un trait commun : le regard désenchanté que le narrateur pose sur les faits quotidiens. Tout cela nous pousse à émettre l’hypothèse suivante : les différents sujets abordés ensemble en une seule phrase où les explications, l’argumentation, et l’épanchement constituent des piliers de l’écriture, sont associés au thème du désenchantement qui incite le narrateur à poser une sorte de regard désillusionné, celui d’un déprimé en proie au ressassement continuel.

1.1.2. Le ressassement

Le ressassement peut être entendu comme le fait de répéter continuellement les mêmes choses et caractérise les personnes à l’humeur dépressive. D’ailleurs, la surexcitation permanente, contrebalancée par un manque considérable d’énergie, implique l’existence d’un déchaînement des pulsions instinctivo-affectives qui s’extériorisent sous forme de ressassement. Nous remarquons que les mêmes problèmes de l’œuvre de l’auteur sont repris comme par exemple le matérialisme, la libération sexuelle, l’échec amoureux, la dépression, le besoin constant d’épanchement… C’est pourquoi on peut dire que l’œuvre de l’auteur est habitée par les mêmes motifs qui réapparaissent à chaque nouveau roman écrit. Chez Houellebecq, la thématique demeure la même, même si la forme change. C’est le même univers, hanté par le pessimisme et le désespoir de personnages qui semblent ressuscités d’œuvres antérieures et qui refont leur apparition. Déprimés, ces derniers vagabondent dans un monde cauchemardesque où le réel exerce une sorte d’étouffement. D’ailleurs, leur déprime les soustrait à toute cohérence, et les rejette dans un mal-être irrémédiable qui les encercle dans une sorte de ressassement maladif.

Dès l’incipit, la première phrase du roman est reprise au dernier chapitre en guise de clôture du cercle vicieux de la dépression : « C’est un petit comprimé blanc, ovale, sécable. » (Houellebecq, 2019, p. 9). Dans cette phrase au rythme ternaire, l’on décèle l’existence d’un regard morose posé sur l’antidépresseur qui est censé rendre la vie supportable et par là même oriente la vie du personnage. La froideur de la tonalité renferme une sorte de détachement, de distanciation apparente qui camoufle ou anesthésie les affects et les souffrances liés à la dépression. La concision de cette phrase est contrebalancée par la répétition, trait caractéristique des personnes déprimées. D’ailleurs, vivant dans le réel qui l’emprisonne, le narrateur choisit de se murer dans un faux-semblant. Il se laisse aller comme dans les sables mouvants et finit par se comporter en automate. Cette prise de conscience de l’état dépressif ajoute au roman une tonalité pathétique qui se présente comme une « poésie tragique » selon les propres termes du narrateur.

Le ressassement pourrait traduire également l’existence d’une nostalgie douloureuse qui l’habite ; Camille la femme bien-aimée lui manque. Malgré la violence des images érotiques qui pourraient insinuer que c’est un homme cynique, Florent-Claude est habité par une sensibilité exacerbée par l’absence de Camille, la seule femme qu’il ait vraiment aimée. Lors de la reprise ou la remémoration des scènes vécues avec elle, nous décelons l’existence d’une tendance à renouer avec son amour perdu d’autant plus que ces scènes sont transcrites en un registre lyrique qui effleure la nostalgie.

« c’était déjà cette infinité, cette infinité glorieuse de plaisirs partagés que j’avais entrevue dans le regard de Camille (mais je reviendrai à Camille), et aussi de manière plus hasardeuse (et aussi avec un peu moins de force, […] avait entièrement disparu de ma vie, il n’y avait plus sa place, j’étais déjà résigné, je n’étais déjà plus tout à fait un homme […] l’amour restait la seule chose en laquelle on puisse encore, peut-être, avoir foi.[…] » (Houellebecq, 2019, p. 102)

Du contraste entre la poésie et l’érotisme choquant ressort une certaine originalité qui fait écho à la transgression, outil préféré de Houellebecq. L’on dirait que la présence d’une tonalité poétique semble être l’indice d’une forte tendance au rêve, à l’absentéisme, qui pourrait receler une certaine pulsion de mort. C’est pourquoi le narrateur aborde le sujet du suicide à maintes reprises.

Ainsi le retour en spirale semble constituer une constante de l’œuvre de l’auteur qui revient sur les sujets qui le préoccupent. D’ailleurs, l’emploi répétitif des verbes à connotation neutre, « savoir », « dire », « parler » est marquant. La répétition devient quasi obsessionnelle, les scènes imaginées révèlent profondément la pensée hallucinatoire d’un personnage qui se représente les faits qu’il appréhende et les réflexions qu’il rumine. Dans la reprise, les discours ressassés interminablement retracent le portrait d’un homme perpétuellement exaspéré par une vie qui ne répond pas à ses désirs. Il s’agit d’une poétique de la répétition, constante stylistique reflétant le désenchantement existentiel et de phrases longues traduisant l’immensité du désespoir. Autant de moyens stylistiques auxquels a recours l’auteur dans une tentative de traduire les effets extravagants du désenchantement qui sévit dans le monde moderne. D’où la portée de la reprise qui retrace à la perfection un monde désenchanté : « Plus personne ne sera heureux en Occident, […] plus jamais, nous devons aujourd’hui considérer le bonheur comme une rêverie ancienne […] » (Houellebecq, 2019, p. 102) dit Claire dans le roman.

En outre, pour combattre le sentiment de désillusion qui le gagne au fur et à mesure que le roman avance, le personnage tend à s’effacer en tant que quasi-sujet, bien qu’il soit tragiquement conscient de l’acuité de sa souffrance. L’on pourrait affirmer que l’œuvre traduit par excellence la présence d’un monde désenchanté où la narration reprend les scènes de désillusion d’un « quasi-sujet » fort pareil à l’individu moderne.

[…] nous aurons avantage, au moment où nous élaborons une théorie du langage, à n’admettre comme “sujet” que l’instance judicative; comme non-sujet, que l’instance productrice d’un discours où le jugement n’a point de part  […] le non-sujet ne soit pas nécessairement un premier état conduisant au sujet, puisqu’il peut être aussi une instance sans autre identité reconnue que celle conférée par son rôle social; comme quasi-sujet, une “instance-frontière”, selon l’heureuse expression de Sylvain Dambrine, caractérisé par un affaiblissement réversible du jugement […] (Coquet, 2007, p. 36-37).

L’instance corporelle selon Coquet fournit des informations à l’instance judicative. A travers un personnage quasi-sujet, l’auteur voudrait peindre l’image imparfaite de l’homme moderne perdu dans la culture de masse, être changeant au gré des circonstances. En effet, on assiste constamment dans Sérotonine à la mise en cause du personnage traditionnel, qui échappe aux tentatives de classification.

Au début du roman, le narrateur nous raconte le suicide de ses parents avec un style distancié et dénué de toute sentimentalité. Fils de parents qui se sont suicidés le même jour, son mal de vivre le mène à consommer un antidépresseur d’un genre nouveau, le Captorix, dont la composante essentielle est la sérotonine, un neurotransmetteur lié au bonheur de l’être humain. Un jour, il décide de disparaître et faire partie des « disparus volontaires » (Houellebecq, 2019, p. 49); il invente l’histoire d’aller travailler en Argentine pour couper les ponts avec Yuzu, sa compagne japonaise qu’il méprise, après l’avoir surprise en train de le tromper avec des gangs-bangs humains (mais aussi canins). Afin d’échapper à sa propre condition d’homme blessé, bien qu’il n’éprouve pas d’amour envers elle, il organise sa fuite au gré des routes départementales de la France rurale. Car il éprouvait bien avant une « indifférence plus fondamentale qu’[il] devait ensuite développer à l’égard de [son] propre destin. »

Ainsi Florent-Claude semble « une force en marche, qui se fait et se défait au rythme d’une imagination. » (Houellebecq, 2019, p. 25) Ce n’est pas un sujet au vrai sens du terme, mais un quasi-sujet déprimé, impuissant qui se retire de la société et va même jusqu’à quitter son travail.

  • Personnage quasi-sujet déprimé :

Dès le début du roman, nous avons affaire à un personnage déprimé, à l’instar de beaucoup de personnes vivant en  France, là où les statistiques des déprimés[iv] et le taux de consommation de médicaments antidépresseurs sont considérablement remarquables.

D’emblée, le personnage reconnaît être incapable de gérer sa vie en sous-estimant ses capacités. Nous remarquons souvent qu’il n’a aucune emprise sur le déroulement des événements : il assiste à la scène de sa propre souffrance comme un spectateur distancié. Quand la constitution en sujet paraît impossible, le personnage est tenté d’affirmer son refus de la vie par le suicide ou par le meurtre : tel est sans doute le cas de Florent-Claude qui pense à maintes reprises mettre fin à ses jours jusqu’à la dernière page où il disserte longuement sans pour autant informer le lecteur de sa décision finale. D’où sa place de quasi-sujet, instance passive qui végète dans l’ombre de la vie.

« […] j’aurais aimé être heureux. » (Houellebecq, 2019, p. 336)

 « Elle s’était quand même déroulée étrangement, à bien y regarder, ma vie […] La vie était finie. » (Houellebecq, 2019, p. 337)

Quasi-sujet, Florent-Labrouste affirme à maintes reprises son échec à s’adapter dans le monde social; il incarne la douloureuse inadaptation des êtres humains souffrant d’une certaine fêlure de leur propre moi. Par moments, il se présente comme un homme aboulique, car il ne peut se passer des antidépresseurs : il opte pour une réclusion volontaire et tend vers l’effacement du monde social.

« Le Captorix fonctionnait en augmentant la sécrétion de sérotonine, mais les informations que je pus recueillir sur Internet au sujet des hormones du fonctionnement psychique donnaient une impression de confusion et d’incohérence. » (Houellebecq, 2019, p. 94)

“[…] je prenais toujours mon Captorix mais je n’ai pas réussi à me lever, à me laver ni même à défaire ma valise. J’étais incapable de penser à l’avenir, ni d’ailleurs au passé, et au présent pas davantage, mais c’était surtout l’avenir immédiat qui posait un problème. » (Houellebecq, 2019, p. 268-269)

Le personnage, bien qu’il simule être en bonne forme, affirme l’impossibilité de se sevrer en se passant du Captorix. Il connaît le fonctionnement de cet antidépresseur qui lui procure un certain bien-être mais le jette dans une sorte de confusion. En outre, la prise de ce médicament ne peut le sauver de l’aboulie dont il est la victime, plus précisément dans l’accomplissement de certains actes purement mécaniques comme l’entretien de son hygiène. Or, il s’avère totalement incapable de mettre fin à ce cercle vicieux, la consommation d’un antidépresseur dont il dépend et va même jusqu’à simuler un certain optimisme devant son médecin.

« Cette fois je devrais lui mentir, feindre une amélioration de mon état, éviter de sa part une tentative de sauvetage, une hospitalisation en urgence ou je ne sais quoi ; il faudrait que je me montre optimiste et léger, enfin sans exagérer non plus, mes capacités d’acteur étaient restreintes. Ce ne serait pas facile, il était loin d’être bête ; mais abandonner le Captorix, même une seule journée, n’était pas envisageable. » (Houellebecq, 2019, p. 345)

Or, souvent, pour pouvoir surmonter la lourdeur du présent, il se remémore les moments vécus avec sa bien-aimée et se réfugie dans les souvenirs comme s’il avait choisi de s’installer dans la mélancolie qu’il en fit sa demeure ; il se cloisonne dans le passé avec sa bien-aimée comme dans une volonté de se détourner de la vie présente.

« Les souvenirs revenaient sans discontinuer, ce n’est pas l’avenir c’est le passé qui vous tue, qui revient, qui vous taraude et vous mine, et finit effectivement par vous tuer. » (Houellebecq, 2019, p. 280)

Le refuge dans le passé serait une constante dans l’œuvre de Houellebecq ; nous nous rappelons Bruno, personnage des Particules élémentaires, qui revient à maintes reprises sur l’échec de son passé en le racontant à son demi-frère, dans une tentative de se défouler d’un lourd fardeau.

Sur ce, Florent-Claude aurait opté pour une philosophie de l’effacement au moyen du Captorix qui ne réussit pas pourtant à éliminer la noirceur du regard posé sur la vie. Par conséquent, si Florent-Claude occupait le statut de sujet avant la consommation du Captorix, il est passé – sous l’effet des antidépresseurs – à un autre statut, celui du quasi-sujet, instance perceptive qui se contente de surveiller le flux des circonstances, sans pour autant interagir. En effet, cet homme que l’on peut classer dans la catégorie du quasi-sujet selon l’appellation de Coquet, demeure passif bien qu’il se soulève dans son for intérieur contre l’armature de concepts instaurés par l’ordre social ; il s’agit « des rites majeurs d’une vie normale au sein d’une société évoluée » (Houellebecq, 2019, p. 12) que le narrateur trouve du mal à adopter. Ce roman pose ainsi la figure vide du quasi-sujet, de l’expérience nue de sa perte, et de son exil définitif.

  • Personnage quasi-sujet impuissant :

Il est à noter que Coquet affirme que le corps est le champ de localisation du sentir. Ce qui rappelle Florent-Claude qui est présent comme spectateur devant le monde social mais absent car il est non adapté, d’autant plus que l’impuissance sexuelle dont il est la proie lui est devenue une sorte de tare insupportable. En effet, le personnage répond parfaitement à la notion de l’instance percevante de Coquet. D’ailleurs, Coquet s’inspire de Merleau-Ponty dont la perception a une dimension active en tant qu’ouverture primordiale au monde vécu, car le corps constitue aussi une condition permanente de l’expérience, et favorise l’ouverture perceptive au monde. C’est une instance de base, corporelle qui se contente d’enregistrer les informations provenant du monde qui l’entoure. Car le personnage vit dans un état de ravissement, de manque à soi et à la vie : il souffre dans le monde du pathos et du non-dit, non exprimé mais mis sous silence.

L’instance corporelle du quasi-sujet se retrouve ainsi dans l’impuissance sexuelle, un des effets secondaires indésirables du Captorix : « Les effets secondaires indésirables les plus fréquemment observés du Captorix étaient les nausées, la disparition de la libido, l’impuissance. » (Houellebecq, 2019, p. 12)

En fait, le personnage semble incarner le mieux le modèle de l’homme occidental qui souffre de l’effondrement des marqueurs de puissance virile, comme la compétitivité, la conquête, et la force sexuelle. Il n’arrive jamais à se constituer en sujet autonome ou dominant. L’on remarque qu’il est frustré par la défaillance de l’instance corporelle, celle de la nature, de la phusis, placée sous l’égide de l’impuissance sexuelle.

          Ce faisant, nous assistons continuellement au désenchantement du personnage qui devient, au fur et à mesure que le roman avance, plus velléitaire : son caractère aboulique se dessine plus nettement. En effet, sa peinture rejoint la démultiplication du personnage dans la littérature moderne qui le fait passer d’une ontologie stable à une ontologie flottante. Nous pouvons rapprocher le tragique que vit le narrateur à la condition de l’homme moderne qui semble déphasé par rapport à un réel qui le dépasse.

Par ailleurs, pour surmonter la vacuité existentielle dont il souffre, Florent-Claude tente de se retrouver dans l’amour-passion. Cet amour dont le mot revient soixante-dix fois dans le roman est ressenti intensément pour Camille où l’amour « passionnel » est décrit avec une effervescence vitale qui affecte les sens et l’esprit, provoquant chez lui une sorte d’amertume. Le narrateur disserte souvent sur l’amour, sujet qui le préoccupe constamment :

« Chez la femme l’amour est une puissance, une puissance génératrice, tectonique, l’amour quand il se manifeste chez la femme est un des phénomènes naturels les plus imposants dont la nature puisse nous offrir le spectacle, il est à considérer avec crainte, c’est une puissance créatrice du même ordre qu’un tremblement de terre ou un bouleversement climatique, il est à l’origine d’un autre écosystème, d’un autre environnement, d’un autre univers, par son amour la femme crée un monde nouveau » (Houellebecq, 2019, p. 70-71).

Or, l’absence d’amour le conduit à la dépression, due à la frustration qui s’empare du personnage, constituant le signal de l’échec identitaire.

 

Transgression et lexique érotique : 

Dans Sérotonine, l’instance énonçante, ou le personnage-narrateur qui jette un regard hyperréaliste sur le monde, transcrit toute une vie où l’écriture met en valeur la transgression comme arme préférée de l’auteur qui s’acharne à nous représenter le monde environnant avec ses vicissitudes et ses défauts. Le style de Houellebecq est d’emblée connu par la prédilection des scènes érotiques, souvent choquantes, et pleines de détails que le lecteur pourrait qualifier d’écœurantes. En fait, il s’agit d’une explosion, du point de vue sociologique, du phénomène pornographique qui est devenu comme la nouvelle éducation sentimentale. Dans nos sociétés de l’image où la puissance de l’écran fait loi, on assiste à la disparition d’une vertu : la pudeur. A cet égard, Jean Baudrillard établit la règle suivante : plus une chose se voit, plus elle est intéressante et vraie. La chair devient ainsi une réalité purement matérielle, sans individualité.(https://souillondeculture.wordpress.com/2015/01/03/la-tentation-pornographique-reflexions-sur-la-visibilite-de-lintime-✕-matthieu-dubost)

 La construction du roman ne peut échapper à cette tentative de violenter ou foudroyer le lectorat en peignant un monde où une érotomanie semble obséder le personnage, au point que l’on pourrait classer l’œuvre dans la littérature pornographique jugée comme dépouillée de toute pudeur. D’ailleurs, dans la littérature contemporaine, la sexualité est devenue un élément indissociable de la quête identitaire, de la vie, et de la mort.(https://www.aufeminin.com/desir-sexuel/la-litterature-erotique-s641596.html).

« YouPorn allait détruire l’industrie du porno encore plus rapidement que YouTube l’industrie musicale, le porno a toujours été à la pointe de l’innovation technologique,[…] parce qu’après tout la pornographie est quand même le secteur de l’activité humaine où l’innovation tient le moins de place, il ne s’y produit même absolument rien de nouveau, tout ce qu’on peut imaginer en matière de pornographie existait déjà largement à l’époque de l’antiquité grecque ou romaine. » (Houellebecq, 2019, p. 111).

En fait, le roman abonde, comme tous les autres romans de Houellebecq, en descriptions détaillées de scènes sexuelles. La narration est ponctuée souvent par un lexique choquant, dévoilant une sexualité débridée ; ce peut être le résultat d’une formation réactionnelle du narrateur devenu impuissant, dans une volonté de provocation, pour rendre compte de la sauvagerie du réel, et ébranler les certitudes ou les valeurs. Cet emploi du lexique érotique pourrait avoir comme objectif de remettre en question la société, de se moquer pour minimiser l’effet tragique du désenchantement, une sorte d’ironie pour faire la satire du libéralisme sexuel.

« Le pessimisme domine ainsi l’œuvre de Michel Houellebecq, face à une civilisation occidentale dont il ausculte les névroses obsessionnelles et les pathologies. […] Le narrateur, observateur désabusé d’un monde dominé par le matérialisme économique et régi par des rapports de consommation, constate que le sexe a pris la place du sentiment. […] Or cette frustration sexuelle n’est que la partie la plus visible d’une difficulté plus vaste […] la poursuite effrénée du plaisir a détruit les liens humains et suscité des frustrations insurmontables … » (Viart, Vercier, 2005, p. 348).

Par conséquent, Houellebecq donne la parole à un narrateur déprimé et impuissant qui relate des scènes « pornographiques » dans le but de transgresser la morale, et choquer le lecteur ; il semble que l’auteur veut transmettre le message suivant : les relations charnelles ont malheureusement pris la relève de l’amour.

Pour terminer notre analyse du personnage quasi-sujet, il nous semble utile d’aborder la question de l’action qui est au cœur des travaux de Coquet qui affirme que l’enjeu principal de la sémiotique – en plus d’assurer les fondements de l’acte de signifier – est l’action, considérée comme un procès engageant le corps et la chair. On peut considérer l’action comme ” un comportement langagier qui construit un univers d’influence entre les partenaires de cet acte tendant à modifier leurs états intellectuels et émotionnels.” (Charaudeau, Maingueneau, 2002, p. 24). Or, le personnage s’abstient d’entreprendre aucune action et opte pour l’effacement progressif du monde social, plus précisément le travail.

Ainsi la dépression en s’aggravant a réussi à altérer la vie professionnelle du personnage qui renonce au travail et s’abstient de s’insérer dans la société, dans une sorte de résignation de l’homme désenchanté dans le monde moderne. Ce qui souligne que le travail n’assure pas d’épanouissement au personnage, bien qu’il soit bien rémunéré.

 Si l’on considère l’étymologie du mot « travail », il connote la souffrance, la pénibilité (cf. torture), la contrainte, et l’asservissement. Depuis le latin populaire tripaliare c’est « tourmenter avec un tripalium », instrument de torture qui sert à immobiliser les grands animaux pour les ferrer : « mon travail au ministère de l’Agriculture, j’en étais d’ailleurs pratiquement aussi écœuré que de ma compagne japonaise » (Houellebecq, 2019,  p. 23)

L’on pourrait dire que Florent voulait saboter son avenir professionnel ; ce serait une formation réactionnelle à l’encontre des normes sociales dont le travail. Car travailler, c’est interagir avec son environnement. Or, notre personnage refuse de communiquer avec le monde social et s’abstient de faire des efforts pour garder son travail perçu comme un obstacle à son bien-être.

Nous nous rappelons Charles Taylor, philosophe canadien et critique de l’individualisme des sociétés modernes – comme cause majeure du désenchantement – qui affirme que, dans son désir d’épanouissement, le sujet moderne croit pouvoir déboucher sur une « création de soi ». Or, l’individu s’est déçu lui-même, car on le presse d’être soi-même, et se découvre n’être rien du tout. Cette déception n’est pas sans rappeler le désenchantement de Florent-Claude Labrouste qui se présente extrêmement perdu dans la multitude vertigineuse des possibles du monde contemporain.

  • Instance d’origine et instance de réception en miroir 

La projection est l’une des pièces essentielles de la sémiotique des instances. L’auteur projette un narrateur, qui, à son tour, projette des personnages. Selon Merleau-Ponty, dont Coquet s’inspire dans ses recherches, l’auteur est une instance qui se projette en un narrateur ; il s’énonce et fait des individus s’énoncer. Le narrateur, « une projection » devenu lui aussi une instance d’origine, projette des personnages : « l’instance de réception et l’instance d’origine sont idéalement en miroir. »  (Coquet, 2007, p. 11).

Le rôle accordé à l’instance de réception dans la sémiotique subjectale nous a fait penser au rôle majeur du lecteur dans l’interprétation des textes. D’où l’intérêt de l’esthétique de la réception développée dans les années 70 qui propose une redécouverte du rôle actif du lecteur dans l’acte d’interprétation. Elle a non seulement renouvelé l’approche de l’œuvre littéraire, mais elle est à même de proposer ou d’actualiser des pistes de lecture et d’analyse.

« L’instance d’origine, instance productrice, fait renaître par son discours l’évènement et son expérience de l’évènement ; l’instance de réception saisit d’abord le discours et à travers ce discours, l’événement reproduit. » (Coquet, 2007, p. 11).

Dans Pour une esthétique de la réception, Hans Robert Jauss considère le texte comme une « partition », une structure dynamique qui éveille « à chaque lecture une résonance nouvelle qui arrache le texte à la matérialité des mots », et ne peut être saisie que dans « ses concrétisations historiques successives » (http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/esthetique-de-la-reception). En effet, le sens d’un texte – bien qu’il soit déjà inscrit dans le texte – dépend de son actualisation par le lecteur : il incombe au lecteur le rôle de l’actualiser. De là, surgit l’importance de la dimension productrice de l’expérience esthétique. Pourtant, bien que le monde de la fiction ressemble parfaitement au monde du réel, le message implicite qui ressort du roman n’est pas sans influer sur la vision du lecteur. A cet égard, Jauss parle d’effets communicatifs où un lien dialogique s’établit, entre le texte et le lecteur qui collaborent en vue de fonder l’expérience esthétique sur une intersubjectivité. D’ailleurs, Paul Ricœur a accordé une grande importance au lecteur qui co-crée l’œuvre en la lisant dit qu’interpréter c’est expliciter le fait d’être-au-monde déployé devant le texte. Selon lui l’interprétation l’emporte sur le texte.

Ce que peint le narrateur dans Sérotonine comme déchéance de l’homme moderne renvoie aussi au lecteur qui croit se lire dans les lignes du roman. En effet, le personnage de Florent-Claude se montre très proche du lecteur ; il s’agit d’une analogie de condition, d’une communauté de problèmes et d’une vision sinistre de la vie.

« Étais-je, au fond, si malheureux ? Si par extraordinaire l’un des humains avec lesquels j’étais en contact […] m’avait interrogé sur mon humeur, j’aurais plutôt eu tendance à la qualifier de « triste », mais il s’agissait d’une tristesse paisible, stabilisée, non susceptible d’augmentation ni de diminution d’ailleurs, une tristesse en somme que tout aurait pu porter à considérer comme définitive. » (Houellebecq, 2019, P. 91)

Cette vision sinistre de la vie n’est pas sans rappeler la dépression, phénomène dominant dans le monde contemporain régi par diverses sollicitations qui conduisent au désenchantement. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la dépression est la première cause d’incapacité dans le monde ; elle constitue le premier facteur de morbidité et d’incapacité sur le plan mondial. En effet, on compte plus de 300 millions de personnes dans le monde souffrant de dépression (https://www.la-depression.org/comprendre-la-depression/la-depression-en-chiffre). Pour cela, un roman relatant les symptômes de la dépression correspond à un sentiment généralisé dans le monde contemporain où les lecteurs se trouvent confrontés à leur mal-être. A cet égard, il y a un écart esthétique qui sépare l’œuvre de l’attente de son premier public et va permettre au récepteur de s’affranchir de ses représentations figées et des normes sociales, pour anticiper une réalité nouvelle. Or, l’écart esthétique semble minime dans Sérotonine car cette œuvre donne une image hyperréaliste d’un monde désillusionné et contribue par la suite à modifier la perception du lecteur dans sa compréhension du monde.

 

Conclusion 

 

Bien que cette étude ne prétende pas épuiser le sens du roman qui peut se prêter à une multitude d’interprétations significatives, nous passons en revue les lignes de force : le monde moderne est peint dans Sérotonine avec une tonalité hyperréaliste où le personnage-narrateur en tant que quasi-sujet reprend la narration de ses souvenirs. Toujours dans l’incertitude des choix et des repères, Florent-Claude Labrouste pourrait être par excellence le représentant du désenchantement, ou d’un malaise originel ancré dans la société française. Par conséquent, le problème individuel rejoindrait le collectif, car, à travers un personnage, Houellebecq veut raconter la douleur de toute une nation. Un message en ressort, celui du désenchantement de toute une génération désillusionnée à cause du matérialisme et du libéralisme sexuel.

Pour finir, le roman, tel un miroir des souffrances de l’homme moderne, nous représente un destin individuel, et une vision particulière du monde, à travers des rapports complexes qui lient le personnage au tissu social. Selon Dominique Viart dans La Littérature française au présent, Houellebecq offre une étonnante synthèse des pensées dominantes à la fin du XIXe siècle. Sa position personnelle n’est jamais claire car toutes les théories que ses livres énoncent sont émises par des « voix narratives incertaines ou discutables ». C’est ainsi qu’il est « nouvel androïde du futur, savant fou ou pervers obsessionnel. » (Viart, Vercier, 2005, p. 350).  Or, le questionnement suivant se pose : les répercussions du désenchantement peint dans le roman déboucheraient-elles sur des résolutions dans la société française où les contours du dysfonctionnement social se dessinent de plus en plus chaque jour ?

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الهوامش

 

[i] Titulaire d’un doctorat en sémiotique théâtrale de l’Université Libanaise. Auteure de la thèse intitulée Passion et folie, Dispersion et unité dans l’œuvre dramatique de Marguerite Duras. Chargée de cours de littérature et de langue françaises depuis 2010 à l’Université Libanaise.

Email:Jihaneharb@hotmail.fr

أستاذ محاضر في الجامعة اللبنانية وأستاذ ثانوي في التعليم الرسمي , حائزة على الدكتوراه في اللغة الفرنسية و آدابها من الجامعة اللبنانية. تدور أبحاثها حول الأدب المعاصر خصوصًا المقاربة السيميائية و علم الأسلوب.

[ii] Disciple de Benveniste, de Merleau-Ponty et de Paul Ricœur, attentif aux leçons de la phénoménologie, Coquet a été l’un des acteurs principaux, dans le champ sémio-linguistique, de la « résurrection » du sujet et de sa présence corporelle, de la rupture épistémologique permettant de réarticuler langage et réalité. Pour la première fois, d’Aristote à Merleau-Ponty et Benveniste, Coquet,  adopte une réflexion qui associe philosophes, logiciens et linguistes pour aborder la problématique interface phusis/logos.

[iii] Notons que les applications de la sémiotique subjectale ne se limitent pas à la littérature : cette science a montré également sa pertinence pour le traitement des comportements psychopathologiques.

[iv] Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la dépression est la première cause d’incapacité dans le monde !

BIBLIOGRAPHIE 

Ouvrages :

-1Ch. André, 2004. Vivre heureux, Psychologie du Bonheur, Paris : Odile Jacob.

-2O. Bardolle, 2004. La Littérature à vif, (le cas Houellebecq), Paris : L’esprit des péninsules.

-3E. Benveniste, 1966. Problèmes de linguistique générale I, Gallimard.

-4J. Besnard, 2019. Quand l’un des plus vieux châteaux de Normandie sert de prétexte littéraire à Michel Houellebecq, normandie.canalblog.com/archives/2019/01/14/37016367.html, site consulté le 15 juillet 19

-5P. Charaudeau, D. Maingueneau, 2002

-6J-C. Coquet, 2007. Phusis et logos, Une phénoménologie du langage, France : PUV.

-7S. Estier, À propos du « style » de Houellebecq. Retour sur une controverse (1998-2010), postface de Jérôme Meizoz, Lausanne, Archipel Essais, n°21

-8M. Houellebecq, 2019. Sérotonine, Paris : Flammarion.

-9M. Houellebecq, 1998. Les Particules Elémentaires, Paris : Flammarion.

-10D. Le Breton, 2015. Disparaitre de soi, Paris : Eds Métailié.

-11D. Viart, B. Vercier, 2005. La Littérature française au présent, Héritage, modernité, mutations, Paris : Bordas

Sites :

-12http://www.fabula.org/colloques/document4413.php, page consultée le 29 juillet 2019.

Normandie.canalblog.com/archives/2019/01/14/37016367.html

-13https://fr.sputniknews.com/france/201905291041280885-macron-face-au-desarroi-des-agriculteurs

-14http://www.artiste.org/mouvements/hyperrealisme/

-15https://www.revuedesdeuxmondes.fr/a-propos-du-style-de-houellebecq/

-16https://souillondeculture.wordpress.com/2015/01/03/la-tentation-pornographique-reflexions-sur-la-visibilite-de-lintime-✕-matthieu-dubost

-17https://www.aufeminin.com/desir-sexuel/la-litterature-erotique-s641596.html

-18http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/esthetique-de-la-reception

. Dictionnaire d’analyse du discours, Paris : Eds. Seuil.

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