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De la lutte comme appartenance

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De la lutte comme appartenance

1e auteur : Marie MANASSA

2e auteur : Dr Christelle STEPHAN-HAYEK

Université Saint-Esprit de Kaslik – USEK

Résumé

Dans cet article, nous parcourrons les différents rôles sociaux assumés par les femmes Hayek tout au long du roman de Charif Majdalani,  Villa des femmes. Dans l’optique d’un décryptage du symbolisme polyvalent des rôles qu’elles assument, ces femmes passent de l’obéissance aveugle à l’homme, mari ou frère, à la lutte irréversible contre l’homme, le milicien, avec les bénéfices qu’elles en retirent et les conséquences qu’elles en subissent. De ce fait, elles méritent une attention particulière.

Réduites, au départ, à des archétypes propres à l’imaginaire collectif qui définit la femme comme procréatrice, capable de prolonger la lignée familiale, et comme source de plaisir, les femmes de notre corpus évoluent pour endosser le costume du masculin et jouer un nouveau rôle au début de la guerre civile.

Mots clés

Identité féminine, appartenance, préjugés sociaux, violence symbolique, puissance masculine, lutte socialisée

Abstract

        In this article, we are moving through the different social roles performed by Hayek women in the novel of Charif Majdalani, Villa des femmes. In the scope of decrypting the polyvalent symbolism of the performed roles, these women moved from the absolute obedience from men, husband or brother, to the irreversible struggle against men, the militiaman, with the withdrawn benefits and the undergoing consequences. Therefore, they deserve a particular attention.

       They are like archetypes related to the collective imaginary defining the woman as a procreator, capable to extend the family line, and as a source of pleasure, the women of our corpus are progressing to put on the male uniform and will play a new role in the beginning of the civil war.

Keywords 

Female identity, belonging, social prejudices, symbolic violence, male power, socialized struggle.

        Majdalani est professeur universitaire, depuis 1993, à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ). «Qu’on me lise à travers le temps, qu’on aime et qu’on apprécie ce que j’écris», déclare cet écrivain-professeur à l’œuvre variée. Son imagination féconde, son large savoir, ainsi que l’originalité de sa démarche lui permettent de voyager à travers les siècles, s’enfoncer dans l’Histoire du Liban, accorder un intérêt particulier à la ville de Beyrouth avec ses familles de toutes les catégories sociales, à la guerre comme à la paix, à l’honneur, à la femme, à l’amour… «Tous mes livres portent sur les familles de Beyrouth et donc sur cette ville», explique Majdalani lors d’une entrevue, fidèle à l’histoire de son pays, à ses normes sociales et aux traditions en vigueur. Auteur de Histoire de la Grande Maison (2005),  Caravansérail (2007), Nos si brèves années de gloire (2012), Le Dernier Seigneur de Marsad (2013), Villa des femmes (2015), L’Empereur à pied (2017) et Des vies possibles (2019), publiés tous aux Éditions du Seuil, ses personnages, Skandar, Samuel, Noula, Hareth, Khanjar et beaucoup d’autres; industriels, commerçants, dirigeants ou inlassables aventuriers ne sauraient échapper à sa plume qui voyage dans ce qu’il appelle «la grande routine du monde» ou, plus simplement, la vie quotidienne de ses personnages. Ses représentations romanesques fardées de saveurs orientales retracent des destins individuels ou familiaux bouleversés par les déchirements et conflits, puis mélangent la grande Histoire avec les petits détails de la vie active de ses personnages et leurs errances solitaires.

Publié aux éditions du Seuil en 2015, Villa des femmes est l’un de ses romans qui s’inscrit dans un contexte historico-social précis, à savoir les années 60-70. Or, ce roman ne raconte pas une simple histoire. Au contraire, il nous communique une réalité humaine, celle d’une famille beyrouthine, bourgeoise, les Hayek, des industriels, dont l’existence est enracinée dans le souvenir de leurs aïeux et mêlée à la poussière de la ville de Beyrouth. Il nous transmet une vérité, celle des relations que les membres de cette famille tissent entre eux, d’une part, et avec leurs voisins, ennemis et alliés, d’autre part.

C’est à partir du récit raconté par Noula, le chauffeur et homme de confiance de Skandar Hayek, véritable témoin de la gloire de la famille et de sa décadence, que se présente une communauté sociétale, dans le Beyrouth d’avant la guerre civile, et les «lignes de démarcation entre lesquelles sont fixés, séparés […] les êtres humains» (Bourdieu, 2002, p. 13). Là, les hommes, patrons et chefs de clans, ainsi que les femmes, bourgeoises et paysannes, sont animés par le désir de protéger les biens et l’héritage familial, d’étendre leur pouvoir et de sauvegarder l’image du ‘zaim’ dans la région. Ce désir, déterminé par le système linéaire patriarcal qui constitue le fondement de la famille Hayek – et de toutes les autres familles, les Rammal, les Ghosn, les Khalil – reflète la conception orientale de l’être masculin et le rôle qui lui est assigné en tant que protecteur de l’héritage, dans une société tribale patriarcale. «Les clans et la primauté du patriarche entouré de sa clientèle», comme le souligne Charif Majdalani, sont omniprésents dans ses romans, où l’image de l’homme reflète régulièrement la conception orientale de l’être masculin et le rôle qui lui est assigné comme protecteur de l’héritage. Ce rôle s’avère être, par ailleurs, à l’origine de sa peur de perdre l’admiration du groupe social auquel il appartient.

Dans le roman, objet de notre étude, la lutte de l’homme pour la conservation de son patrimoine familial et de son identité culturelle semble de loin être une lutte libre ou individuelle. Ainsi, parait-elle socialisée, fixée par un «système d’idées, de sentiments et d’habitudes qui expriment [la personnalité] du groupe dont il fait partie.» (Durkheim, 1977, p. 15) Cependant, cette lutte est-elle réservée uniquement à l’élément masculin? La femme ne prend-elle pas la dimension d’une combattante qui joue un rôle fondamental dans la protection de la maison? Quelle est sa place au milieu des ‘zouama’? En cherchant à sauvegarder le patrimoine familial, accentue-t-elle sa soumission au mâle ou son émancipation ? Cherche-t-elle à sauvegarder le patrimoine familial pour sauver l’image du ‘zaim’ et sa dynastie? Quelle forme le combat féminin prend-il dans le roman?

Nous aborderons ce sujet en fonction de la sociocritique qui désigne, selon Barbéris (1980), «la lecture de l’historique, du social, de l’idéologique, du culturel dans cette configuration qu’est le texte» (Barbéris, 1980, p. 123). Cette étude est fondée sur une approche sociocritique à partir de la littérature comme expression de la société et de la vie quotidienne. Elle est conçue suivant la vision de Pierre Bourdieu, de la société et de l’homme, des normes «inscrites dans la physionomie de l’environnement familier, sous forme de l’opposition entre l’univers public, masculin, et les mondes privés, féminins», (Bourdieu, 2002, p. 82), en particulier dans son ouvrage La domination masculine. La conception socio-psychologique de Jean Maisonneuve, notamment dans La psychologie sociale, qui parle de l’homme «plongé dans le bloc social» et d’une «relation immédiate, globale, massive» qui s’établit entre les individus dans «un monde avec autrui», (Maisonneuve, 1977, p. 30) sera adoptée également tout au long de cette étude.

Ainsi, nous développerons d’abord l’idée de la domination masculine qui définit les comportements des personnages féminins. Dans cette optique, nous montrerons que les actions des femmes, surtout Marie et Mado ou plutôt, les femmes à cœurs brisés, leurs émotions, leurs manières de se parer, leurs comportements, leurs pensées, tout leur potentiel suit une certaine éthique «naturalisée», (Bourdieu, 2002, p. 72) construite sur la séparation entre l’homme et la femme. Nous aborderons ensuite le combat des femmes Hayek qui s’engagent dans la protection de la maison dans le but de sauvegarder l’image du ‘zaim’ et, par conséquent, sa propre image. Nous tenterons ainsi de prouver que, dans Villa des femmes, la villa abrite toutes les normes sociales individualisées, voire imposées de l’extérieur. Loin de lutter pour leur émancipation, les femmes combattent pour sauvegarder la ‘zaama’ de la famille et, conséquemment, leur présence, leur existence, contribuant, par-là, à accumuler des pouvoirs masculins.

1. Combats de cœurs brisés

Dès les premières pages du roman, un premier modèle de femmes s’impose: des femmes faibles, dociles, victimes des préjugés sociaux, dépendantes du pouvoir de l’homme à qui est donné le droit de gérer le patrimoine.

Marie et Mado en sont un parfait modèle. La première dans sa victoire illusoire, la seconde dans sa vengeance ratée. Impuissante devant la puissance de ses parents, Marie sera décrite dans sa prise de conscience du statut social qu’on lui a imposée, à travers sa nouvelle vie avec son mari, Skandar beyk, qu’elle n’aimait pas. Nous la voyons alors réduite à un «moyen» capable de procréer, d’augmenter le capital humain et physique des Hayek en assurant des successeurs et un gain matériel, à travers les soirées à but politique que son mari organise, et qu’elle surveille.

1.1 Marie: vaincue et victorieuse

Dans Villa des femmes, la femme apparaît comme victime des préjugés sociaux, contrainte à se sacrifier au service d’un principe: conserver la famille qui continue à prêcher la primauté de l’homme. Invitée à vivre cette réalité, Marie Ghosn passe de son foyer paternel à son foyer conjugal, sans jamais sentir un changement radical dans la manière qu’elle doit adopter pour penser et agir en fonction de son rang social. Nous lisons dans le roman qu’elle était «belle, les cheveux châtains, le regard ironique et rêveur, distraite, toujours d’une élégance inouïe, dans des robes de couleur et parée de bijoux» (p. 18). Or, cette Marie est privée de Badi’ Jbeili, l’amour de sa vie, et livrée par la société, la religion et la famille, à Skandar Hayek, comme à un maître. Elle est arrachée à sa vie libre de jeune fille, à ses rêves d’amour et de rires innocents pour faire un mariage d’intérêt. Elle, qui ne voulait pas de ce mariage, tente plusieurs fois, et en usant de tous les moyens possibles, d’échapper à cette «pierre de l’affuteur qui tournait toujours» (p. 79) dans le quartier des ‘zouama’. Elle essaie de trouver un moyen de rejoindre son amant et «prépara froidement un départ secret. […] La tentative avorta. Marie pleura, s’enferma à nouveau, puis, dans un sursaut de violence contre elle-même, cessa de s’alimenter, se mit à fumer» (p. 40). Cette situation met le père en fureur surtout lorsque les crises de sa fille redoublent. Alors, elle est ramenée de force et mariée. Ainsi, son combat pour la liberté n’est non seulement avorté, mais il contribuera aussi, et surtout, à faire persister «l’ordre du monde, tel qu’il est, avec ses sens uniques et ses sens interdits, ses obligations et ses sanctions» (Bourdieu, 2002, p. 11). Dans ce sens, Marie s’avise, en fin de compte, qu’elle n’a que le mariage avec Skandar beyk comme échappatoire à sa déception, à la suite du voyage de Badi’, humilié et chassé par les Ghosn à cause de ses origines et de sa situation financière défavorable. «C’est Warde qui, au bout de plusieurs jours, convainquit Marie de réagir. Marie déclara alors qu’elle allait se marier, il n’y avait rien d’autre à faire, et elle se maria, ce fut grandiose» (p. 41). La décision de Marie est donc dans l’ordre des choses, dans cet «ordre établi, avec ses rapports de domination, ses privilèges et ses injustices» (Bourdieu, 2002, p. 11), dévoilant une soumission totale aux exigences de la société. Sa famille nourrit cette idée dans son esprit, en recourant à la pression et aux forces d’appartenance. Marie appartient aux Ghosn, qui exercent sur elle leur domination, et elle se voit obligée de leur obéir. En fait, il était primordial, aussi bien pour les Ghosn que pour Skandar Hayek, de faire réussir ce mariage pour rapprocher les deux familles qui gagneraient aux niveaux économique, social et politique. Par ce mariage imposé, les Ghosn exigent de leur fille l’appartenance aux lieux où ils la placent, qui sont un espace d’étouffement et de dépendance. Ces lieux sont conformes à leur vie plate, élaborée par l’esprit de gain à travers le business et les négociations commerciales. «Mais il n’est pas très étonnant que Marie se soit si facilement acclimatée, vu que chez les Hayek comme chez les Ghosn, sa propre famille, c’étaient les mêmes orangeraies, les mêmes villas, la même ambiance d’usine et de négoce, les mêmes dîners et les mêmes déjeuners à longueur d’année, les mêmes femmes guindées, les mêmes chefs de clan durs et distants» (p. 19). Avec ces «mêmes chefs de clan», Marie passe, vaincue, d’un pouvoir à un autre, de la puissance de son père à celle de son mari. Une passation de pouvoirs couronne ainsi l’avenir que les autres lui ont choisi et la soumission de Marie n’est autre que «la dissymétrie fondamentale, celle du sujet et de l’objet, de l’agent et de l’instrument, qui s’instaure entre l’homme et la femme» (Bourdieu, 2002, p. 65). Marie ne peut donc apparaître qu’en tant qu’ «objet dont la fonction est de contribuer à la perpétuation ou à l’augmentation du capital symbolique et social» (Bourdieu, 2002, p. 65) des deux familles.

Toutefois, Marie essaye de transformer sa vie conjugale en une épreuve: elle cherche à intégrer sa nouvelle maison et sa nouvelle situation par son élégance et sa douceur, par «l’activité incessante que son rôle de femme de grand notable lui imposait, mais une espèce de langueur, de moments de soudaine et incompréhensible lassitude, d’imperceptible indifférence à tout, une lave refroidie bloquaient en elle tout sentiment de joie réelle, de plaisir effectif» (p. 41) En effet, malgré sa générosité et son amabilité, la femme du beyk impose des limites à tous ceux qui l’entourent, «une forme de distance aristocratique» (p. 41). Elle a toujours à l’esprit les moments de souffrance qu’elle a vécus, «elle veillait sans cesse sur elle-même, dans le souvenir en permanence ranimée de la blessure initiale, du coup monté dont elle avait été victime et qui l’empêchait de vivre heureuse» (p. 41).

Devant ce fait, nous remarquons que consentir au bonheur ‘illusoire’ que Marie vivait chez les Hayek représente pour elle la seule voie de salut, une sorte de victoire sur les peines. Dans ce cadre, et à partir du moment qu’elle est mariée, elle est soumise à son mari parce qu’elle doit céder aux normes sociales qui sollicitent de la femme mariée la docilité et la résignation. Et pendant toutes les années de vie commune, Skandar beyk et sa femme «géraient leur vie de famille, comme si c’était une affaire qu’il fallait mener à bien» (p. 19). L’acquiescement de Marie pour le mariage n’est que la concrétisation de la domination masculine, effet de ce que Bourdieu appelle la violence symbolique, qui «s’exerce par les voies symboliques de la communication et de la connaissance ou, plus précisément, de la méconnaissance, de la reconnaissance ou, à la limite, du sentiment» (Bourdieu, 2002, p. 12). Cet ordre social établi se prolonge alors, et la vie conjugale que Marie mène avec Skandar, faite de respect plutôt que d’amour, pour l’honneur des Hayek, paraît, à ses yeux, comme acceptable et naturelle.

Une fois dans la villa, Marie s’avise que son partenaire n’est pas un homme ordinaire: il est le beyk et elle doit suivre ses conseils, se soumettre à ses directives et vivre en tant que patronne du domaine des Hayek. C’est ainsi qu’elle vit dans le silence, prend soin des enfants, veille admirablement sur la maison et assure l’ambiance nécessaire lors des soirées où son mari invite les patrons des clans et les industriels de la région dans des buts politiques. Elle contribue ainsi à préserver le patrimoine des Hayek et leur ‘zaama’. Dans ce sens, Skandar beyk lui «offrit une existence de reine» (p. 41) parce qu’elle représente une «valeur qu’il faut conserver à l’abri de l’offense et du soupçon» (Bourdieu, 2002, p. 69). En fait, Marie peut lui produire des «alliances, c’est-à-dire du capital social, et des alliés prestigieux, c’est-à-dire du capital symbolique» (Bourdieu, 2002, p. 69). En d’autres termes, ces alliances dépendent de la valeur symbolique de Marie, liée à sa réputation et à celle de sa famille, les Ghosn. Elle ne fait que participer, volontairement et silencieusement, à la protection des biens, en protégeant les intérêts de son mari. Esclave et victime d’un endoctrinement social, elle ne lutte pas pour son identité de femme libre de choisir et d’agir, mais pour la subsistance du patrimoine et la réalisation, par conséquent, des envies du mâle: son père et son mari.

1.2 Mado ou la vengeance ratée

Des femmes de la Villa des Hayek, c’est Mado, la sœur du beyk, qui subit le plus les manifestations de la structure sociale, à savoir la conservation du nom de la famille et de la ‘zaama’. Appartenant à une famille d’industriels, dont la réputation dépasse les frontières du pays, Mado se doit d’aborder le monde masculin sans pouvoir y apporter de changements. En découle sa participation inconsciente à la protection de l’image du ‘zaim’: celle de son père, puis de son frère, Skandar Hayek, et, après ce dernier, celle de ses neveux, Noula et Hareth.

En effet, Mado accepte tacitement ce que Bourdieu appelle «les frontières magiques entre les dominants et les dominés» (Bourdieu, 2002, p. 60). Nous le voyons dans sa tendance à exalter son vêtement et son apparence véritable langage de séduction pour l’homme. Elle se pare de bijoux et achète des chapeaux et des chaussures par dizaines, inclinée socialement, comme l’affirme Bourdieu, à être traitée comme un objet esthétique et, en conséquence, à porter une attention constante à tout ce qui touche à la beauté, à l’élégance du corps ainsi qu’à la gestion de son image publique et des apparences sociales (Bourdieu, 2002, p. 137), afin de plaire à l’autre sexe dont elle devient ainsi dépendante. Cela est clair également dans son comportement, à la suite de sa déception amoureuse, quand Georges Ghosn ouvre à un émigrant libanais du Mexique, à qui Mado était promise, un chemin qui mène vers le cœur d’une autre jeune fille. Skandar beyk ne manifeste alors aucun embarras, ni aucune rancune envers les Ghosn, pour ne pas perturber les accords politiques qu’il a passés avec eux. «Mais cela eut un effet déplorable, parce que tout ce mensonge, cette mauvaise foi, ce silence, c’est Mado qui en porta le poids. […] le fait qu’elle soit tombée malade juste après avait quelque chose de romanesque qui donna à la jeune fille le rôle de victime expiatoire, sacrifiée pour des raisons supérieures, et cela marqua les esprits. […] Tout ce qu’elle vécut, sa façon de faire comme si de rien n’était, de ravaler sa rage et sa déception, d’accepter la version officielle des faits, l’aura vraiment affaiblie et livrée au mal qui allait s’emparer d’elle.» (p. 30)

Mado choisit, en effet, le mutisme et la solitude. Cependant, si ce choix est un indice de sa soumission à la décision de son frère, il est également un signe de l’éducation qu’elle a reçue, suivant laquelle c’est le mâle qui a le dernier mot. Dans ce sens, elle fait preuve d’une incroyable indifférence et montre une certaine fierté lorsqu’on disait qu’elle tenait de son père, donc d’un homme, et que rien ne l’ébranle. «Elle rangea les robes, les chapeaux et les malles avec dédain et revint à sa vie d’avant. Elle devait néanmoins pleurer de rage et de dépit lorsqu’elle était seule, se sentir humiliée quand elle constatait que les siens continuaient à parler des Ghosn et du mariage à venir de Skandar. Mais elle voulut être forte, elle se convainquit qu’elle l’était et son entourage le crut. Pour se donner bonne conscience, on répétait sans arrêt «Mado a un sacré caractère». (p. 30)

D’un autre côté, en suivant la conception de Bourdieu sur les femmes qui contribuent à leur propre domination, nous remarquons que la réaction de Mado est un «acte de connaissance et de reconnaissance» (Bourdieu, 2002, p. 60) de la supériorité de son frère. Ces actes prennent la forme d’émotions corporelles, à savoir la honte et l’humiliation, émotions d’autant plus douloureuses qu’elles se trahissent dans des manifestations visibles comme la maladie et la fatigue qui s’emparent d’elle. «On était tranquille, sauf qu’en réalité Mado était minée de l’intérieur, son estime d’elle-même en avait pris un coup […]. Lorsqu’elle éprouva les premiers symptômes de son angine, la fatigue, les maux de gorge, la fièvre, elle ne fit rien pour lutter. […] son état empira, puis un jour elle éprouva des douleurs à la poitrine, on la transporta livide et presque inerte à l’Hôtel-Dieu, et quand elle en sortit, elle était devenue cette espèce de spectre hâve, une jeune femme déjà vieille qui continua sa vie entière à porter le souvenir mortifiant de la visite de non-demande en mariage et la haine des Ghosn» (p. 31). En effet, Mado cultive des sentiments de haine non seulement contre les Ghosn mais aussi contre elle-même, mettant en relief la rupture d’équilibre qui, suivant Freud, provoque des désordres dans les conditions relationnelles (Freud cité par Maisonneuve, 1977, p. 14). «J’en concluais que les tireurs non plus ne pouvaient me voir. En revanche, je n’en étais pas aussi sûr pour Mado […] elle attendait là patiemment que l’un d’entre eux enfin la vit, la mît en joue tranquillement, froidement, lâchement, et, d’un de ces coups secs, vînt mettre un terme a tout pour elle» (p. 165) raconte le narrateur. Ainsi, rêvait-elle d’en finir et «l’idée de se faire bombarder et de disparaître en même temps que son monde, ou ce qui en restait, devait lui être singulièrement agréable» (p. 165), convenable à sa vengeance. Elle veut se venger des siens mais, en même temps, mourir «au milieu des décombres du domaine des Hayek» (p. 169), comme elle tient à protéger ce domaine de l’anéantissement et de la convoitise des autres. «Elle marmonnait contre son frère qui laissait faire, qui donnait son accord pour que fussent inhumés là une vieille femme ou un vieillard trépassé simplement parce qu’ils s’appelaient Hayek. «On n’est plus entre nous, ni sur nos terres ni en dessous», grommelait-elle, jusqu’au jour où elle faillit provoquer une guerre de clans.» (p. 21)

L’échec de la vengeance de Mado est évident, et c’est elle qui l’a ratée, à travers sa soumission, sans le savoir, au jugement dominant qui commande de protéger le patrimoine familial. Elle estime enfin que «c’était à elle que revenait, sur ses terres et dans la maison de ses pères» (p. 22) la sauvegarde du nom des Hayek. Dans son conflit intérieur et dans le clivage de son moi, Mado, au cœur détruit, au corps défendant vainement, finit par se prendre pour la gardienne des Hayek et d’un ‘espace familial’ en fait destiné à l’homme.

Ainsi, Marie et Mado, les deux femmes des Hayek pérennisent, consciemment ou pas, l’image du ‘zaim’. Marie est donnée à Skandar parce qu’elle convient à sa fonction de protecteur de la ‘zaama’, alors que Mado est abandonnée par l’homme selon les mutations subies dans son travail. Les cœurs brisés de ces deux femmes permettent donc à l’homme de construire un rempart de sécurité ‘zaimien’.

2. Combat ‘idéologisé’: appropriation de soi et retour à l’homme

La lutte des femmes des Hayek pour protéger le domaine revêt deux aspects différents. D’une part, il s’agit d’un pacte de loyalisme à la famille. De l’autre, c’est une dévotion concrétisée dans le courage et la persévérance. Nous mettrons l’accent sur la résistance exceptionnelle de ces femmes qui n’hésitent pas à affronter les miliciens et leurs canons afin de sauver la maison et l’usine. Karine, forte et têtue, comme son père, Marie, puissante dans son calme même, et Mado obstinée à ne jamais quitter le lieu. La contribution de ces trois femmes à consolider le statut de l’homme et de sa ‘zaama’ sera aussi mis au clair dans ce qui suit.

2.1 Combat féminin dans un monde masculin

Ce que nous remarquons dans Villa des femmes, c’est la faiblesse de Noula. Ce dernier, en l’absence de son frère, abandonne le domaine à la suite de la faillite de l’usine, alors que la guerre éclate, ce qui fait que Marie, Mado et Karine prennent la relève avec courage. Pour Catharine Mackinnon, «Les femmes, objets de condescende, paraissent s’autoriser d’une autorité absolue qui constitue une expérience de leur féminité pour penser l’objet dont elles s’assurent ainsi sans peine le monopole» (citée par Bourdieu, 2002, p.155). C’est ainsi que les trois femmes combattent et, par la suite, s’imposent, armées du pouvoir de défier les hommes incarnés dans les miliciens. Elles renversent de la sorte le système social qui accorde à l’homme «cette force supérieure qui peut lui faire accepter comme inévitable ou comme allant de soi, c’est-à-dire sans délibération ni examen, cette transcendance du social» (Bourdieu, 2002, p. 74), cette primauté du masculin. L’intervention féminine est alors fondée sur une puissante volonté de sauver et de sauvegarder le patrimoine de la famille, celui des Hayek.

Comme le pays va à la catastrophe, et dans ces circonstances assez pénibles, la décision de rester, ferme et déterminante, est prise par Marie, malgré les conciliabules au téléphone avec les chefs de familles dont certains avaient déjà évacué leurs terres et avec son frère qui tentait de la persuader de quitter les lieux. L’aggravation de la situation n’ébranle pas l’obstination de Mado qui, chaque fois qu’il était question d’évacuer les lieux, «affichait une détermination à ne pas bouger» (p. 160). En fait, même Jamilée, la bonne de la maison, est aveuglement engagée dans cette conviction. C’est ainsi que, confrontée à l’idée du départ, elle «protesta et bouda, annonçant qu’elle n’avait nulle part où aller, qu’elle ne suivrait pas ses maitres chez n’importe qui et ne quitterait pas la villa» (p. 157). Ainsi, les femmes agissent-elles dans l’ordre naturel des choses, dans un monde qui, suivant Bourdieu, « se présente toujours comme parsemé d’indices et de signes désignant les choses à faire ou à ne pas faire […] pour une femme » (Bourdieu, 2002, p. 82). La guerre devient donc le signe ou le catalyseur du combat féminin à mener pour conserver les biens et pérenniser le nom des Hayek. «C’étaient les deux femmes, Marie et Mado, qui avaient défendu la terre et le domaine, elles qui avaient payé de leurs peines, de leurs peurs, de leur souffrance et de leur sang, alors que les hommes étaient absents, partis trop tôt, déserteurs de par le monde ou frivoles sans cervelle. Tout cela était devenu leur bien propre, dont elles n’étaient plus redevables à personne» (p. 189). Dans cet esprit, en observant Karine, nous voyons qu’elle n’est jamais prise d’abattement ou tentée de se replier sur elle-même dans ces conditions-là. C’est le contraire qui se produit alors. «C’étaient la grandeur symbolique des Hayek et le souvenir d’un monde gouverné par son père qu’elle avait chevillés au corps, dont elle se voulait le dernier défenseur» (p. 216). Cette lutte ‘socialisée’ atteint son apogée quand les femmes Hayek réussissent à éloigner des combattants qui ont introduit un canon dans l’intention de prendre la villa comme angle de tir idéal. «L’apparition des trois femmes au milieu des vergers, au cœur de la nuit, et alors que le bruit des combats et des échanges d’obus faisait vibrer la terre, agit comme un électrochoc sur les miliciens disséminés sous les arbres. […] Et en effet, le gars au talkie-walkie finit par faire un geste de la tête à son chef qui se tourna vers Marie en annonçant que c’était d’accord, il allait se retirer avec ses hommes.» (p. 164)

Les femmes de la villa ont ainsi pu s’imposer, au sein d’une communauté masculine, à travers des actions étonnantes, dans «cette course à l’héroïsme» (p. 160), et grâce à des armes efficaces: la ténacité, le courage, la patience (elles faisaient la cuisine), le calme (elles se promenaient dans le potager et sous les pins et les eucalyptus) «comme les patriciennes romaines» (p. 217), la parole et parfois le silence: «sur le perron j’aperçus la silhouette de Marie, debout, enveloppée dans une ‘abaya’ et observant la nuit» (p. 161).

Ainsi donc, leur mobilisation n’est qu’une forme de résistance orientée vers la conservation du domaine, s’opposant à la «résignation qu’encouragent toutes les visions essentialistes (biologiques et psychanalytiques) de la différence entre les sexes» (Bourdieu, 2002, p. 8). Ce qui est ainsi mis en relief, c’est l’image d’une femme en quête de l’affirmation de son identité féminine dans un monde masculin.

2.2 Investissement du potentiel féminin et contribution à la domination masculine

Conduit dans le labyrinthe intriguant des trois femmes de la villa des Hayek, qui prennent les rênes du pouvoir et gèrent la domesticité, se crêpant le chignon et négociant même leur devenir quand les combattants tentent d’investir la terre, le lecteur s’enfonce dans le quotidien de Marie, Mado et Karine. Or celles-ci pourraient n’être que les régentes d’un monde désagréable qui semble attendre son vrai héros, Hareth, le fils cadet qui parcourt les continents.

Dans ce roman, l’image traditionnelle de la femme fragile est dépassée. À un moment donné, nous voyons la femme comme une personne indépendante, une vraie militante, jouant un rôle fondamental dans la protection des biens, de la maison, de la fabrique et du rang social. Cependant, cet engagement n’a-t-il pas pour but ultime le triomphe de la ‘zaama’ masculine à laquelle est attachée son identité?

En effet, nous savons du narrateur que les femmes des Hayek essaient avec force de résister, malgré l’agressivité des explosions et la dureté de la situation. Elles défendent avec acharnement «ce que Skandar avait fait au jour le jour pour maintenir la grandeur des Hayek» (p. 216), espérant le retour de Hareth, le sauveur. Karine prend la relève et apparaît capable de promouvoir le rôle de la femme dans l’investissement de tout son potentiel à la recherche de son frère. «Ma jeune patronne, décida de se mettre à la recherche active de son frère […]. Grâce à ses cousines, elle réussit à trouver la mère du négociant en lavande de Shatt el-Ajouz avec qui Hareth s’était lié d’amitié» (p. 207). En effet, dans le but de retrouver Hareth, la jeune fille fait beaucoup d’efforts et reste persévérante. Elle se rend dans la Bekaa, mettant des heures à arriver, pour récupérer des renseignements. Ensuite, elle réussit à joindre, au téléphone, l’émirat de Shatt el-Ajouz, malgré les lignes défectueuses. Puis elle se rend à Beyrouth pour trouver le chargé d’affaires afghan, étant donné l’amour qui unissait Hareth à l’épouse d’un diplomate afghan à Téhéran. Mais cette quête n’aboutit pas. Or, Karine ne désespère pas, elle «continuait à tenter de joindre Hareth» (p. 210) qui, lui dit-on, était arrivé à Kaboul. «Au matin, elle se levait avec l’espoir de voir nos yeux brillants de joie et une inhabituelle précipitation dans nos taches, signe que quelque chose de miraculeux s’était produit. […] Mais Hareth ne revenait pas, et Karine à certains moments me demandait comme si elle parlait à elle-même s’il était possible qu’il eût décidé de ne jamais revenir, d’autres fois se retenait de paniquer à l’idée qu’il lui était peut-être arrivé quelque chose.» (p. 218)

Cette persistance de Karine dans sa mission laisse le narrateur dans un état d’hébétude et de stupeur, et le pousse à se demander: «d’où tenait-elle si puissamment que Hareth reviendrait, quelle intime conviction la portait, la faisait vivre ainsi dans cet espoir insensé, auquel je puisais moi-même, je ne sais pas.» (p. 218)

Ainsi, la fille des Hayek se laisse-t-elle convaincre que son combat pour la défense du domaine et pour le redressement des affaires, bien qu’il soit hardi, serait voué à l’échec sans l’intervention de Hareth. Elle espère alors son retour pour qu’il «s’occupe de ce qui restait des propriétés avant que tout ne soit complètement perdu.» (p. 207)

Par ailleurs, sans se décourager, et s’occupant toujours du domaine et du jardin, malgré l’atrocité de la guerre qui «emporta dans un hululement toutes les villes» (p. 211), Marie et Mado prirent aussi la décision de retrouver Hareth. Elles «allèrent jusqu’au siège du Conseil militaire des milices chrétiennes» (p. 224) où on les écoutait avec déférence et elles ne reçurent que de fausses promesses. Toutefois, les deux femmes étaient déterminées à trouver le jeune homme alors qu’il les avait quittées pour réaliser ailleurs ses rêves d’espace et d’aventures. Sa mère «l’estimait désormais sans cœur et irresponsable» (p. 224) et le narrateur rapporte que «c’était pour tout le monde le comble de l’insupportable que ce garçon fût à ce point insensible à nos misères et nous entretînt si frivolement de ses voyages» (p. 224). Cette situation permet alors de dire que l’enquête opiniâtre de Marie et Mado n’est que la métaphore de la soumission à l’homme, inculquée, via l’éducation et la formation sociales, dans leur esprit et dans leur âme. Il est incontestable, dans ce sens, que ce sont la mère et la tante qui continuent, à travers cette attente, à donner le pouvoir à Hareth.

Il est également indéniable que c’est la sœur qui s’accorde avec son frère, en son absence, pour accepter qu’il soit dominant. Ceci est perceptible dans l’enquête que celle-ci mène et qui est, suivant Bourdieu, «un signe extérieur de la position de dominée» (Bourdieu, 2002, p. 57) de la femme. Ainsi Karine prend en compte, dans la représentation qu’elle se fait de sa relation avec lui, la représentation que «l’ensemble des hommes et des femmes seront inévitablement conduits à se faire de lui en lui appliquant les schèmes de perception et d’appréciation universellement partagés dans le groupe considéré» (Bourdieu, 2002, p. 57). Ce groupe est celui des ‘zouama’ de Beyrouth, dans lequel la succession de la ‘zaama’ est accordée au fils. Nous voyons donc la complicité de Karine avec son frère étant donné qu’elle cherche elle-même, et en gardant intact le domaine, à garantir son retour comme ‘zaim’, successeur du ‘zaim’ Skandar Hayek. En se redressant alors, face aux miliciens et aux obstacles, Karine se résigne, pliée sous le poids des taxinomies culturelles.

Il semble clair que la supériorité est celle de l’homme. Le retour de Hareth devient, dans ce sens, un événement solennel et inimaginable. «Une automobile que je compris très vite être un taxi, entra sur le domaine, fit crisser le gravier et vint doucement se ranger devant mon perron, comme aucune voiture ne l’avait plus fait depuis des mois. Mon cœur se mit à battre si fort que je l’entendis dans mes oreilles. J’avais du mal à respirer et je ne pus rien exprimer tant j’étais tétanisé devant le spectacle de la portière qui s’ouvrait. Puis, comme dans un rêve ou dans la réalisation de mes plus belles fantaisies et de mes fantasmes les plus improbables, je vis Hareth mettre pied à terre» (p. 228)

Cette supériorité de l’homme lui est ainsi bel et bien octroyée par la femme elle-même. Marie, Mado et Karine ont courageusement combattu, non pour leur émancipation, mais plutôt pour la sauvegarde de l’image du masculin, du ‘zaim’. «Jamilée était accourue au bruit de la voiture qui redémarrait et à ses cris d’allégresse les femmes apparurent l’une après l’autre. Sa mère, qui voulait faire barrage à une joie qui l’aurait suffoquée, le prit dans ses bras en silence, puis ce fut le tour de sa tante. Quant à Karine, elle l’enlaça en lui déclarant simplement: «Il était temps», comme si elle lui assignait déjà, d’emblée et en notre nom à tous, la lourde tâche pour laquelle nous l’attendions, et qui était de nous sauver de ce cauchemar» (p. 229).

Et comme en réponse à cette longue attente dont il avait fait l’objet, Hareth affiche bien, dès son retour, le comportement d’un ‘zaim’. «Il voyait les marchands des quatre-saisons, les quincailliers ambulants, la bicyclette du poissonnier, la rue passante, les livreurs, le facteur, les ouvriers de l’usine et les bonnes courant vers le portail. Et, dans le formidable mais déraisonnable espoir que tout cela recommencerait, il ramena son regard vers les choses qu’il avait sous les yeux et qui portaient les traces de l’usure et du passage du temps, et me demanda: «Bon, alors, par quoi commence-t-on?» (p. 237).

En conclusion, Villa des femmes foisonne de personnages, des bâtisseurs d’un autre temps, ceux qui ont fondé des empires colossaux. Il s’agit d’une épopée formée de rebondissements, d’élévations et de chutes démesurées. Chacun des ‘zouama’ de Beyrouth, mêlé  à l’histoire du Liban, a sa part de gloire ou de défaite. L’écriture de Majdalani, pleine d’érudition et d’élan romanesque, met l’accent sur la supériorité et la puissance de l’individu masculin, en lutte constante pour le mérite du pouvoir social, économique et politique, et sur la société masculinisée qui donne la primauté à l’être masculin dans une division reconnue et pratiquée par tous ses membres. Dans ce sens, Bourdieu parle d’actes de connaissance qui sont des «actes de reconnaissance pratique et d’adhésion doxique» (Bourdieu, 2002, p.54). Cette même écriture met en lumière aussi la force, la détermination, la dignité et la bravoure des trois femmes des Hayek qui tiennent debout, transformant leur désaccord en solidarité quand tout s’abat autour d’elles, bien que soumises à l’ordre naturel qui accorde à l’homme tous les droits. Les femmes de la villa incarnent, dans leur combat pour la sauvegarde de leur patrimoine, un idéal éthique, par la transmission des valeurs familiales et patriotiques. Elles incarnent donc l’image d’une femme libre, capable de choisir le lieu et le moment propices à ses actions, mais dont l’émancipation souligne aussi bien son héroïsme que celui de l’homme.

Dans Villa des femmes, la villa n’est pas pour les femmes, mais pour les hommes, protégés par ces mêmes femmes. Marie, Mado et Karine se trouvent en effet réduites, consciemment ou inconsciemment, à des ‘instruments’ symboliques de la lutte pour pérenniser la puissance masculine, en pérennisant le nom de leur famille.

Elles arrivent à régner sur le domaine en l’absence des hommes, en exerçant à bon escient un pouvoir exclusivement ‘féminin’ et particulier, défendant avec amour et passion leur domaine contre l’invasion des miliciens. Par leurs actions héroïques, ces femmes s’accumulent des pouvoirs masculins. Elles se lancent dans une lutte obstinée pour préserver le passé légendaire de la famille, un passé fait par l’homme et pour l’homme, dans lequel elles n’ont pas pu se faire une place. Le triomphe de la femme est donc bien, finalement, celui de l’homme.

  Ces trois femmes qui vivent dans un monde accablé de crises, où elles se trouvent soumises aux valeurs masculines reconnues par la société dans laquelle elles sont définies laissent-elles une empreinte ineffaçable dans la mémoire du lecteur? Cet équilibre de force  qu’elles essaient d’établir ente leurs situations d’êtres marginalisés dans une société masculine étouffante, et dont elles sont conscientes, et leurs nouvelles situations de femmes libérées de toute contrainte renforce-t-il cette identité particulière qu’elles cherchent à s’approprier vis-à-vis d’elles-mêmes et des hommes, celle d’exister et de ne pas exister?

Villa des femmes nous pousse à répéter ce que l’écrivain lui-même a avoué: «Un roman, c’est pour y vivre… bien dedans.» (L’Orient-Le Jour, le 4/9/2015) Ce dedans où tout le monde est plus ou moins apparenté, à la fois allié et rival, ne devient-il pas, finalement, sous la plume de l’écrivain, l’identité d’une vie, l’éclat d’une voix, l’existence de l’Homme?

REFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Corpus

Majdalani C.  (2015). Villa des femmes. Paris: Editions du Seuil.

Autres romans de Charif Majdalani

Majdalani C. (2017).  L’Empereur à pied. Paris: Editions du Seuil.

Majdalani C. (2019).  Des vies possibles. Paris: Editions du Seuil.

Majdalani C. (2005).  Histoire de la grande maison. Paris: Editions du Seuil.

Majdalani C. (2012).  Nos si brèves années de gloire. Paris: Editions du Seuil.

Majdalani C. (2013).  Le dernier Seigneur de Marsad. Paris: Editions du Seuil.

Ouvrages

Barbéris P. (2002). La sociocritique, Méthodes critiques pour l’analyse littéraire. Paris: Nathan.

Barbéris P. (1980).  Le prince et le marchand. Paris: Fayard.

Bourdieu P. (2002). La domination masculine. Paris: Seuil.

Durkheim E. (1977). Éducation et sociologie. Paris: P.U.F.

Maisonneuve J. (1997). La psychologie sociale. Paris: P.U.F.

Revues

L’Orient-Le jour, «Charif Majdalani: entre légende et réalité». Page consultable sur: https://www.lorientlejour.com/…/ charif-majdalani-entre-legende-et-realite.html.

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