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Incertitude tragique, paratopie du discours et concision narrative dans La Couronne du diable d’Alexandre Najjar

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Incertitude tragique, paratopie du discours et concision narrative

dans La Couronne du diable d’Alexandre Najjar

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Harb Jihane[1]

 

Résumé

L’étude suivante se propose de jeter un éclairage sur l’écrit littéraire contemporain pendant la période où le coronavirus s’abat sur le monde entier en 2019. En particulier, notre communication aborde l’art de la concision narrative dans le roman La Couronne du diable écrit par Alexandre Najjar en 2020, en nous basant sur les apports théoriques de l’approche de Dominique Maingueneau[2] qui vise à renouveler l’étude du littéraire par le biais de l’analyse du discours. Nous étudierons par quels moyens et procédés le romancier parvient à nous communiquer l’incertitude tragique. Ainsi plusieurs questions peuvent surgir comme étant des pistes de réflexion suite aux micro-récits des narrateurs racontant les ravages qu’opère la pandémie dans le monde. Or, le questionnement qui nous parait le plus pertinent, lors de la lecture du roman, est la suivante : Comment et par quels procédés scripturaux l’auteur parvient-il à représenter l’incertitude tragique en racontant ce drame planétaire qui a paralysé le monde entier? Pour tenter de répondre à cette problématique, suivre l’approche méthodologique de Dominique Maingueneau s’avère intéressant afin de proposer une analyse du texte littéraire qui contribuera à reconstruire le langage et enrichir la réflexion formelle et critique.

 

Mots-clés : Coronavirus, paratopie, concision, incertitude tragique, isotopie, surassertion.

 

La Couronne du diable, roman écrit par l’écrivain libanais d’expression française Alexandre Najjar, rend compte du drame commun du coronavirus qui a ravagé le monde entier pendant la période du confinement de l’année 2020. Ce roman peut être classé dans le genre de la littérature de témoignage, dans la mesure où il raconte une histoire de survie, sombre et triste et permet d’avoir un point de vue particulier sur l’Histoire : il s’agit en fait des épanchements et témoignages de personnages de diverses nationalités, bouleversés par la contingence tragique, qui ont vécu le confinement et subi le même destin. Optant pour une écriture en prose et une précision des faits relatés, Najjar a pu dans La Couronne du diable nous confronter face à notre incertitude tragique et notre précarité en présence d’une crise planétaire aiguë.

De là, le questionnement suivant s’impose : Comment l’auteur parvient-il à représenter l’incertitude tragique en racontant ce drame planétaire qui a paralysé le monde entier ? Est-ce par le recours à la paratopie discursive, donnée constitutive de l’œuvre, ou à la concision dans la représentation du drame, clé de voûte du style limpide et clair que Najjar en « observateur intégré » atteint son but, tout en croyant fermement à « l’obstination du témoignage[3] » ?

Ainsi, nous allons étudier le roman en suivant l’approche inspirée de Dominique Maingueneau[4] qui vise à renouveler l’étude du littéraire par le biais de l’analyse du discours, en évitant le modèle « applicationniste [5]». L’intérêt de proposer une analyse du discours peut contribuer à reconstruire le langage et enrichir la réflexion formelle et la critique à partir d’une technique de recherche et d’interprétation du texte littéraire. Il est question dans notre travail de mettre en lumière la spécificité du texte, sa cohérence et sa cohésion. Nous étudions, en premier lieu, la paratopie discursive dans la mesure où l’auteur relègue la parole à plusieurs narrateurs qui s’expriment en rapportant l’expérience douloureuse du confinement avec une tonalité tragique. Puis, nous analysons la concision du style, où l’auteur recourt à l’isotopie de la tragédie et à la surassertion, notions que nous définirons ultérieurement. En fait, il s’agit des choix qu’effectue l’auteur où il va se plier ou contourner certaines normes pour créer un produit langagier original.

  1. Statut paratopique du discours et tonalité tragique 

Nous assistons dans le roman à une paratopie constitutive du discours ; récits rapportés par Gaudens, “narrateur intradiégétique” confiné qui entreprend de raconter l’histoire en déléguant sa fonction de narration aux autres personnages. En fait, il s’agit de fragments narratifs de plusieurs personnages qui prennent la parole pour exprimer leur impuissance face aux ravages tragiques effectués par le coronavirus. On y verra ainsi la variété des modes de vie et des rites de membres de communautés éloignées mais qui affrontent le même problème. De fait, le discours que prononcent les divers narrateurs a un statut paratopique[6].

  • Multiplicité des narrateurs et unicité du drame

Il est à noter que la paratopie est posée comme principe « moteur » de la création littéraire par Dominique Maingueneau. Dans La Couronne du diable, le discours se déplace d’une instance à l’autre. D’où son statut paratopique mais qui converge vers une seule réalité : la contingence ou l’incertitude tragique. Il est question de l’effacement du narrateur premier Gaudens au profit d’autres narrateurs qui sont respectivement : un médecin lanceur d’alerte chinois opposé aux mensonges des autorités, un passager britannique prisonnier d’un navire de luxe lors de sa lune de miel, une enseignante parisienne bouleversée par la contamination de sa mère, un étudiant en cinéma enfermé à Milan, un père jésuite libanais révolutionnaire, un médecin iranien confronté à un cas de conscience, un médecin-éditeur engagé et créatif à Madrid et un journaliste américain féru de théories complotistes. En effet, bien que les narrateurs soient multipliés et issus de pays divers, leur souffrance est commune face au fléau ravageur : « […] ce sentiment de ne pas savoir de quoi demain sera fait, cette incertitude proche de l’ignorance, ce flou angoissant, qui empêchent toute planification, et obligent la population à vivre au jour le jour.[7] »

Il s’agit d’une fragmentation de l’instance énonciative en plusieurs voix narratives servant de relais énonciatif au narrateur principal, en se plaçant à l’origine d’un récit enchâssé, où s’insèrent parfois des répliques au discours direct.  Cela rejoint le concept de polyphonie introduit en théorie littéraire dans les années soixante par le chercheur russe Mikhaïl Bakhtine, pour décrire les phénomènes de superposition de voix, ou de sources énonciatives dans un même énoncé. Le terme «polyphonie » implique que « plusieurs voix parlent simultanément dans un texte littéraire sans que l’une d’entre elles soit prépondérante et juge les autres[8]. » Une pluralité de voix concourt à véhiculer plusieurs points de vue juxtaposés qui sont unanimes sur la représentation de l’incertitude tragique. Ainsi, les actions sont racontées à travers la réfraction d’une conscience, dans un flux de pensées à la première personne. Cette multiplicité des narrateurs souligne la présence de plusieurs angles narratifs choisis et de diverses perspectives.

Par conséquent, la paratopie discursive produit une vision kaléidoscopique de la réalité reconstituée par des recoupements multiples. Ainsi, en cherchant à faire assumer à ses personnages la tâche de raconter leur propre histoire ou des faits dont ils ont été témoins, l’auteur tend à maintenir l’illusion d’une communauté de condition entre scripteur, narrateurs et personnages.

En somme, la paratopie discursive s’avère une technique originale de dévoilement dans la mesure où les voix se multiplient et les divers niveaux narratifs profèrent une parole plurielle. Le lecteur croit donc entendre là l’écho d’une sorte de récit conversationnel. De fait, la paratopie peut faciliter l’adaptation du roman au théâtre, car chaque personnage s’exprime en solo, bien qu’il existe des dialogues qui s’incrustent dans la trame narrative. Le lecteur imagine la présence scénique de chaque personnage qui rapporte le drame qu’il endure pendant le confinement. De même, la lettre du début du roman que Gaudens adresse à son ami Marc joue le rôle d’une scène d’exposition au théâtre. Toute cette polyphonie à statut paratopique est là pour représenter l’incertitude tragique, comme composante essentielle de la condition humaine : “nous sommes tous ensemble, partout, sur le même bateau[9]» dit Gaudens – porte-parole de l’auteur – dans sa lettre adressée à Marc.

L’énoncé ci-dessus souligne l’incertitude et la souffrance des personnages soumis au même destin et suggère la présence d’une égalité sous-jacente à la condition humaine, celle d’affronter un destin atroce auquel on ne peut échapper., car « vivre, [selon Edgar Morin] c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille[10]».
En fait, l’hétérogénéité des narrateurs et le glissement des niveaux énonciatifs porteurs de confusion et de croisement féconds placent d’emblée La Couronne du diable sur la voie d’un roman original à tonalité tragique.

1.2. Narration de l’incertain et tonalité tragique 

Force est de constater que l’écriture du tragique requiert des procédés qui contribuent à l’expressivité du discours. Si la syntaxe multiplie dans la tragédie classique les tournures complexes et l’énonciation met en valeur l’expression de la douleur par l’interpellation, la supplication, la lamentation et le lexique doté d’une forte charge affective, l’écriture moderne du tragique tend à rejeter toute emphase et recourt à une expression sobre, jugée plus propre à exprimer l’authenticité de la souffrance tragique de la condition humaine.

Dans La Couronne du diable, le registre auquel recourt l’auteur est simple ; il vise une certaine économie et recherche la clarté et l’efficacité d’une parole sûre. En fait, il s’agit dans ce roman de plusieurs tonalités, mais la tonalité dominante est la tonalité tragique car l’on ressent la terreur, l’effroi et la pitié : le tragique est au cœur de ce roman puisqu’il a partie liée avec ce qui est funeste, fatal, ou alarmant. Il est à noter également que si le tragique antique relève de l’impuissance de l’Homme face à Dieu, le tragique moderne relève de l’assujettissement à la menace permanente d’être contaminé par un virus invisible à l’œil nu.  Il est question – tout au long du roman – de sentiments forts et exacerbés qui animent des individus en proie à un déchirement sans merci face à l’incertitude. La tension qui les mobilise souligne la menace omniprésente de la fatalité, qui tombera soudain et accomplira la destinée. Les personnages de La Couronne du diable font face à un destin irrémédiable ; le tragique les mène à une fin irrévocable, contre laquelle ils luttent vainement jusqu’au bout.

« _ ce que nous vivons actuellement est tragique […] L’épidémie décime la population ici à Téhéran […] plusieurs ministres ou députés sont morts, ou malades, les séances du Parlement annulées, les prières du vendredi interdites […] Le mal est fait à présent. Et la progression sera difficile à endiguer […] la médecine est impuissante[11]… »

Dans l’exemple ci-dessus, on a l’impression d’être en face d’expressions hyperboliques. Or, l’usage qu’en fait l’auteur sème la peur et le choix de termes évaluatifs tels les adjectifs qualificatifs comme « tragique », « difficile », « impuissante », a pour but de caractériser la situation vécue devenue intenable et suggère l’impossibilité de sortir indemne d’une telle expérience traumatisante.  En outre, le verbe « décimer » qui signifie exterminer ou tuer une part importante de la population, connote l’horreur provoquée par la propagation du virus. Il en va de même pour l’adjectif indéfini « plusieurs » qui souligne l’envergure des dégâts : ce choix de termes de haut degré accentue l’effet dramatique de la prolifération terrifiante de la maladie qui plonge le monde dans la contingence tragique.

Nous trouvons également la présence d’indices de tonalité tragique dans le discours du médecin espagnol: « Cette crise du coronavirus est venu nous couper les ailes. […] je concentre toute mon énergie sur mon métier de médecin et passe mes journées à l’hôpital où j’assiste à des scènes que je n’aurais jamais crues possibles en Espagne. […] Il y a tellement de cadavres que la grande piste de patinage du Palacio de Hielo a été transformée en morgue […]  Tous les hôtels de la capitale […] trois cents lits […] on nous met des bâtons dans les roues […] à raison d’un masque fabriqué toutes les trois minutes […] A la guerre comme à la guerre ![12] »

D’après le relevé de l’extrait précédent, nous remarquons le recours permanent aux figures de l’amplification pour nous représenter le drame et nous montrer l’acuité de la crise. D’ailleurs, le médecin choqué par l’impact foudroyant du coronavirus reconnaît devenir sans défense ; les expressions métaphoriques « couper les ailes » et « mettre des bâtons dans les roues » en témoignent. L’utilisation du mot « morgue » et d’intensifs comme les adjectifs indéfinis « toute » et « tous », l’adverbe « tellement » et le grand nombre de lits attestent de l’ampleur de la catastrophe et confirment la gravité du fléau.

D’ailleurs, tout un champ lexical du tragique domine le roman. Le coronavirus est remplacé par certains mots qui le caractérisent comme « épreuve » […] « séquelles […] expérience douloureuse ». Pour les personnages qui succombent à fatalité – cette machine infernale sans issue – l’année vécue était une « année terrible qui a confisqué [leur] bonheur[13]. »

Par voie de conséquence, les séquences narrées dans le roman sont émouvantes, car l’on assiste régulièrement à la mort et à la dramatisation du vécu représenté avec une tonalité tragique. En effet, nous sommes en présence du champ lexical de la mort, des figures de l’excès et des plaintes de personnages qui se défoulent en racontant leur vécu devenu infernal en affleurant la mort. Une autre caractéristique de la tonalité tragique est la présence d’une « fin tragique » qui réside dans la mort des personnages ou de leurs proches dans d’atroces souffrances à cause du coronavirus.

En outre, rendre compte de la tragédie commune envahissant l’humanité entière en 2020 se fait par des narrateurs qui excellent dans la promotion d’une tonalité tragique d’une façon concise et probante.

  1. L’art de la concision et l’isotopie de la tragédie

 

Lors de notre lecture du roman, formé de huit courts chapitres, nous avons remarqué que le style scriptural se caractérise par une économie de moyens : cette concision le rapproche de l’écriture journalistique, facilement accessible au lecteur, étant donné que le journaliste se doit d’expliquer, de décoder, et de trier ses informations de manière à être lu et compris par le public le plus large.

  • Concision stylistique et incertitude tragique 

Il est bon de savoir que la concision, indice de la netteté et de la justesse des idées, est une qualité de la composition littéraire, consistant à exposer les faits sous une forme brève et vive, tout en gardant l’essentiel de l’information. Dans le roman de Najjar, il est question de la concision stylistique, de la clarté du témoignage et du rythme accéléré de la narration. Cette vitesse de la narration des faits suggère l’impact foudroyant de l’incontournable, car la rapidité rappelle ce qui est fugace, incertain et fuyant et nous met en face de notre dénuement. Bien qu’il existe certaines pauses ou commentaires émis brièvement, la concision de l’écriture traduit l’effet-choc de la pandémie et la rapidité de sa propagation.

D’ailleurs, la concision accorde au texte une forte charge dramatique. Le roman qui ne dépasse pas 130 pages arrive à nous toucher profondément en nous relatant le drame humain vécu par plusieurs personnages des divers coins du monde. On trouve quelques descriptions minimes, comme par exemple la croisière au Japon et la description du bateau : « Ce bateau est une merveille […] tout y est flambant neuf[14]. » Bien qu’il y ait des dialogues qui transpercent la narration, ceux-ci sont rapportés brièvement pour laisser entendre les diverses intonations, émotions et réactions des personnages et introduisent de ce fait une césure dans l’homogénéité tonale des passages narratifs.

Examinons par exemple le journal intime rédigé par le voyageur sur le Diamond Princess. Le nouveau marié relate succinctement les faits qui se déroulent et avancent à bride abattue. Ses notes en témoignent : « Nuit d’enfer. Quintes insupportables. Et ma femme, paniquée, impuissante, qui ne sait plus à quel saint se vouer[15]. » Ce style de notations connote l’impact choquant de la pandémie sur le couple paniqué par le fléau surprenant qui se propage à une rapidité vertigineuse.

Il en va de même pour ces phrases de l’Iranien qui est sollicité par les autorités pour écrire de faux rapports : « J’ai hoché la tête. Les deux énergumènes m’ont salué et sont sortis. […] Nuit d’insomnie[16]. » Celui-ci raconte brièvement comment il parvient à braver les autorités en refusant de « falsifier des actes de décès[17] » et nous suggère la délicatesse de la situation.

Nous citons également le chapitre sur le Liban formé de dix pages ; il est question d’un père jésuite révolutionnaire qui se révolte contre la classe politique corrompue du pays. Celui-ci dresse la situation du Liban ravagé par le coronavirus et n’hésite pas à émettre brièvement ses points de vue philosophiques sur l’esprit révolutionnaire : « Au risque de mécontenter les fondamentalistes, j’ai agi avec la fermeté de celui qui refuse le fait accompli. On ne peut pas être révolutionnaire à moitié[18]. » Il en va de même pour l’Espagnol qui se présente sommairement en quelques lignes « Je suis médecin par vocation et éditeur par passion. Ma maison d’édition, cofondée avec mon frère à Madrid, n’est pas encore très grande, mais elle est exigeante. […] Mais voilà, cette crise du coronavirus est venue nous couper les ailes. Toutes nos parutions ont été décalées sine die et, comme les librairies sont fermées, nous nous sommes rabattus sur les plateformes de vente en ligne pour écouler une partie de notre stock[19]. »

Bien que l’auteur ait pratiqué cette esthétique de la brièveté, cette forme d’écriture, plus que toute autre, implique un travail de raffinement, d’épuration et de dépouillement. En un style concis, l’auteur rapporte les récits des personnages qui cherchent désespérément un sens à leur existence et nous confronte, à notre tour, à la contingence tragique de la condition humaine. À l’origine de leur mélancolie représentée laconiquement, nous décelons un sentiment de perte tragique, perte de l’objet aimé et perte du sens, perte qui ronge une écriture que l’on pourrait rapprocher de l’écriture « minimaliste[20] ».

  • Isotopie de la tragédie et surassertion

Le style concis – une force donnée à l’expression – a été pourtant élaboré à partir d’une isotopie de la tragédie. Nous entendons par isotopie[21], dans le cadre de notre recherche, un réseau fédérateur de termes comprenant un sème définitoire commun, qui joue un rôle prépondérant dans l’organisation textuelle. En fait, dans le roman, nous relevons un lexique fort expressif dont l’impact n’est pas sans rappeler le tragique. Dès le début du récit, le narrateur, en affirmant que « l’incroyable s’est produit[22] », accuse les autorités qui ne se sont pas préparées pour protéger leurs populations, bien qu’elles soient censées le faire. Le médecin chinois arrêté, qui mourra contaminé par le virus, est violenté par la police pour avoir prévenu la population des dangers de ce virus : « son intonation est dure, sa voix saccadée comme les rafales d’une mitrailleuse[23], » « le commissaire m’a assené une tape sur la nuque[24] », l’épidémie « avait pris des proportions inquiétantes[25] », la disparition de ce médecin lanceur d’alertes plonge la Chine dans la « consternation[26] ». Toute une succession de scènes et de faits dresse l’atmosphère tragique qui règne sur le roman.

Il en va de même pour l’atmosphère décrite de certaines villes contaminées comme Wuhan qui inspire la mort : « Les rues, jadis si animées, sont vides, les rideaux de fer des boutiques baissés[27]. » Wuhan est devenu un mouroir.[28] En France, « les rayons de Franprix sont vides, prix d’assaut par des consommateurs paniqués qui redoutent une disette ou un rationnement comme sous l’Occupation[29]. » « Les activités culturelles sont en berne. Le Salon du livre de Paris a été annulé. […] la vie est suspendue, figée[30] ».

Citons également le voyageur condamné au confinement sur le navire et les mesures prises par les autorités italiennes : « j’ai appris que le coronavirus s’était répandu en Chine et que des mesures draconiennes allaient être prises pour contrer le fléau[31]. » « Huit nouvelles chaines de télévision et quatre-vingts vidéos supplémentaires nous ont été proposées, ainsi que le wifi gratuit[32]. » Le navire est devenu un « hôpital géant », « un véritable incubateur à virus » et la cabine une « prison[33]. » « Notre seul mérite, c’est d’être restés vivants[34] ! ». Il s’agit d’une situation chaotique[35] selon les propres termes du narrateur perturbé face à la pandémie.

Nous remarquons, à travers leurs discours elliptiques, que les personnages sont souvent à bout de nerfs : « je ronge mon frein[36] », « notre état se détériore : c’est l’hosto direct[37] » L’enseignante de français se rappelle les vers terribles[38] de la fable de La Fontaine « Les animaux malades de la peste » et se demande si la pandémie qui préoccupe le monde soit une punition infligée par Dieu aux hommes qui ont trop violenté la nature[39] : « Les gens ne sont plus libres […] Ils sont confinés chez eux, encagés comme des canaris. Leurs habitudes ont changé[40]. » Les personnages sont ainsi souvent perturbés « Faut-il résister par l’insouciance, défier l’adversité en vivant normalement, comme si de rien n’était[41] ? »

« Notre pays est en danger […] Je n’ai jamais connu quelque chose d’aussi effroyable depuis la guerre contre l’Irak. Cette tragédie que nous subissons est injuste […][42] »

« Un virus microscopique a réussi à démanteler les rouages de la mondialisation, mettre l’Europe en panne, clouer au sol les avions, immobiliser voitures et trains, affoler la Bourse, fermer usines, banques, bureaux et librairies […] le coronavirus est venu nous rappeler, de manière brutale, que la vie n’est pas un héritage qu’on peut dilapider à loisir, mais un trésor inestimable dont nous devons être les bienveillants gardiens[43]. »

Nous remarquons que le cadre spatial ressemble à un paysage de fin du monde où toutes les ressources nécessaires à la survie disparaissent progressivement.

D’après ce qui précède, l’isotopie, cet ensemble redondant de catégories sémantiques qui rend possible la lecture du roman est actualisée grâce à la présence de plusieurs réseaux sémantiques et champs lexicaux qui renvoient à la tragédie. D’ailleurs, le narrateur clôt son roman en affirmant avoir remis « l’acte premier de la tragédie[44] ». Cette expression explicitée à la fin résume à elle seule l’histoire de La Couronne du diable ; elle peut être considérée comme une surassertion.

Il est à noter que la surassertion est, selon Maingueneau, une opération qui consiste pour l’énonciateur à marquer dans un texte un fragment, le plus souvent une phrase, détachable, à le formatter en quelque sorte pour une reprise citationnelle. La surassertion est étroitement liée à la détachabilité. C’est un fragment surasserté qui constitue un énoncé relativement bref, de structure prégnante dans son signifié ou son signifiant, susceptible d’être décontextualisé, en position saillante dans le texte. La thématique de la surassertion doit être en relation avec l’enjeu essentiel du genre du discours, du texte ou de la partie du texte concernés. Le fait de rédiger cette expression à la fin du roman confirme le fait que nous sommes irrévocablement sous le règne du tragique qui accorde l’importance à des puissances supérieures accablant l’homme en niant sa liberté. Le rôle du destin dans le roman est déterminant car les personnages tragiques – ayant une conscience aiguë du mal qui les épuise _ sont condamnés par une fatalité impitoyable. En effet, les personnages sont confrontés à des épreuves insurmontables ; il leur est difficile de trouver une issue malgré l’énergie qu’ils déploient. Ils affrontent l’expérience de l’échec dans la négation de leur liberté, dans l’anéantissement de leurs espérances et finalement dans la mort.

Conclusion

En fin de compte, Alexandre Najjar opte pour un sujet contemporain en utilisant une langue claire pour raconter un réel fuyant et opaque, à travers un virus qui « a […] remis en question la toute-puissance des hommes qui croyaient l’assujettir […] l’être humain se trouve tout à coup impuissant, nu, désarmé[45]. » En effet, le roman écrit dans l’urgence pour témoigner de la réalité quotidienne pendant le confinement alors que le virus poursuit sa course folle autour du monde, a réussi à représenter le tragique vécu par les hommes. Notre but principal a été de montrer qu’il est possible de tirer profit de l’analyse du discours tout en restant attentifs à sa variété et sa richesse. De fait, bien que nous ne prétendions pas épuiser le sens du roman, l’approche que nous avons suivie nous a aidée à analyser l’aspect tragique en ce qui concerne le statut paratopique du discours à tonalité tragique, la concision stylistique, l’isotopie et la surassertion.

Or, cette représentation fidèle du tragique ne risquerait-elle pas de nourrir un sentiment de consternation chez le lecteur prenant conscience de son impuissance constitutive ? Car rendre compte du réalisme corrosif de notre condition tragique pourrait tracer les limites de notre pouvoir et affecter négativement notre vision du monde.

 

 

Références bibliographiques

Najjar Alexandre, La Couronne du diable, Liban, Plon, L’Orient des livres, 2020.

Maigueneau Dominique, Le Contexte de l’œuvre littéraire, Paris, Dunod, 1993.

Fromilhague Catherine, Les figures de style, Paris, Nathan, 1995.

Gardes-Tamime Joelle, La stylistique, Paris, Colin, 1992.

Milly Jean, Poétique des textes, Paris, Armand Colin, Nathan, 1992.

Charaudeau Patrick, Maingueneau Dominique, Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Eds. Seuil, 2002.

Calas Frédéric, Charbonneau Dominique-Rita, Méthode du commentaire stylistique, Paris, Nathan, 2000.

Oswald Ducrot, Le Dire et le dit, Paris, Minuit, 1984.

Sitographie

[1] Jihane Harb est professeur assistant à l’Université libanaise, FLSH, section V

[2] Dominique Maigueneau, Le Contexte de l’œuvre littéraire, Dunod, Paris, 1993

[3] Najjar Alexandre, La Couronne du diable, Liban, Plon, L’Orient des livres, 2020, p. 12

[4] Maingueneau Dominique, Le Contexte de l’œuvre littéraire, Paris, Dunod, 1993

[5] Selon Maingueneau dans « L’analyse linguistique des textes littéraires », communication fait à l’université d’Amiens, le modèle applicationniste implique que les littéraires ne feraient qu”’appliquer” les concepts des sciences du langage à un corpus qui serait leur chasse gardée et qu’ils devraient maintenir pur de toute contamination extérieure.

[6] L’appartenance au champ littéraire n’est donc pas l’absence de tout lieu, mais plutôt une difficile négociation entre le lieu et le non-lieu, une localisation parasitaire, qui vit de l’impossibilité même de se stabiliser. Cette localité paradoxale, nous la nommerons paratopie. C.f. Le Contexte de l’œuvre littéraire, op. cit., p. 22

[7] La Couronne du diable, op. cit., p. 86.

[8] Ducrot Oswald, Le Dire et le dit, Paris, Minuit, 1984, p. 171.

[9] La Couronne du diable, op. cit., p. 11.

[10] https://lejournal.cnrs.fr/articles/edgar-morin-nous-devons-vivre-avec-lincertitude

[11] La Couronne du diable, op. cit., p. 95-96

[12] Ibid., p. 105…108

[13] Ibid., p.109

[14] La Couronne du diable, op.cit., p. 29.

[15] Ibid., p. 38.

[16] Ibid., p. 98.

[17] Ibid., p. 97

[18] Ibid., p. 91

[19] Ibid., p. 105

[20] En France, autour des années 80, un groupe d’écrivains minimalistes optent pour une écriture réduite à ses composantes essentielles. Les experts prétendent que le minimalisme, en tant que courant artistique, est apparu dans les années 1960 à partir d’une économie de moyens, de l’utilisation de l’abstraction, du purisme fonctionnel et structurel, de l’austérité et de la synthèse. Le but du minimalisme est de donner du sens à partir du minimum. Il s’agit de simplifier les éléments utilisés en faisant appel à un langage simple, à des couleurs pures et à des lignes simples.

[21] Concept créé par Greimas en 1966, l’isotopie désigne globalement les procédés concourant à la cohérence d’une séquence discursive. La cohérence concerne principalement l’organisation sémantique du discours car elle est fondée sur la redondance d’un même trait dans le déploiement des énoncés et conditionne la lisibilité textuelle.

[22] La Couronne du diable, op. cit., p. 11.

[23] Ibid., p. 17.

[24] Ibid., p. 19.

[25] Ibid., p. 21.

[26] Ibid., p. 23.

[27] Ibid., p. 24.

[28] Ibid., p. 25.

[29] Ibid., p. 50.

[30] Ibid., p. 52.

[31] Ibid., p. 30.

[32] Ibid., p.33.

[33] Ibid., p. 35.

[34] Ibid., p. 39.

[35] Ibid., p. 36.

[36] Ibid., p. 43.

[37] Ibid.

[38] Ibid., p. 44.

[39] Ibid., p. 45.

[40] Ibid., p. 46.

[41] Ibid., p. 53.

[42] Ibid., p. 99.

[43] Ibid., p. 128-129

[44] Ibid., p. 129.

[45] Ibid., p. 110.

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