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Odyssée des âmes perdues ou la quête d’un Moi dispersé

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Odyssée des âmes perdues ou la quête d’un Moi dispersé

Dans L’Enfant aux yeux pleins de larmes

De May MENASSA

Dr Ghina EL SAYED[1]

INTRODUCTION

   Le troisième millénaire est le témoin du dérèglement du Proche-Orient. Le Printemps arabe ne fut qu’un pas vers un abîme sans fond. May Menassa nous montre à travers son roman, L’Enfant aux yeux pleins de larmes, la tragédie du peuple syrien, expédié de son pays pour s’éparpiller aux quatre coins du monde.

   La journaliste, romancière et critique d’art libanaise May Menassa, est l’une des figures de la culture libanaise de ces dernières années. Elle est née en 1939. Diplômée d’études supérieures en littérature française, elle a fait ses débuts dans le journalisme en 1959 sur la chaîne de télévision publique Télé-Liban. May Menassa a ensuite travaillé pour les pages Culture du quotidien an-Nahar à partir de 1969 en tant que critique d’art avant de prendre la tête de la rédaction du mensuel libanais “Jamalouki” (Ta beauté), destiné à la femme libanaise et arabe. L’auteure et romancière a écrit plus d’une dizaine d’ouvrages, notamment des nouvelles et des livres pour enfants. L’un de ses romans en langue arabe, ”Je chasse la poussière et je marche”, a été récompensé par le Booker Price. Son dernier livre, L’Enfant aux yeux pleins de larmes, parut chez Erick Bonnier en 2019. Elle y montre les brutalités de la guerre en Syrie dans une aventure journalistique. Le narrateur, orphelin d’origine syrienne, élevé dans un orphelinat à Londres, sent qu’il a besoin de retrouver son passé amputé de sa mémoire. Devenu archiviste sur microfilms, il est chargé par un réalisateur de films historiques britannique, Peter Highland, de visionner les courts-métrages de la guerre en Syrie pour créer une toile de fond faite d’images cruelles et absurdes et destinée à structurer une histoire que celui-ci a trouvée dans un roman intitulé Alep mon amour qui raconte la vie d’une femme syrienne, Nadia Damiens, victime des horreurs de la guerre. En visionnant les reportages sur la Syrie, le narrateur est saisi par l’image d’un enfant aux yeux pleins de larmes. Du coup, revient en force à son esprit sa propre enfance, l’abandon dont il fut victime et ce qu’il advint de lui, le Syrien, jusqu’à son arrivée à Londres. Le narrateur part à Alep, devenue un centre apocalyptique qui témoigne l’effritement de tout un pays s’engouffrant systématiquement dans l’enfer des partis extrémistes, précisément du radicalisme islamique. Dans ce roman de May Menassa, peut-on parler d’une odyssée? À travers l’aventure de l’orphelin syrien et les différentes épreuves qu’il a passées, nous suivons l’itinéraire de tout un peuple déboussolé dans une quête initiatique. Comment reconstruire une identité écrasée par le diabolisme du terrorisme et de l’extrémisme? Et quels sont les moyens pour libérer l’âme des chaînes de la détresse? Nous essayerons, en recourant à une approche thématique, d’analyser dans L’Enfant aux yeux pleins de larmes, la quête d’une identité impossible à reconstruire et la tentative de se racheter à travers la musique et les élans spirituels. Nous n’hésiterons point à nous engager dans des analyses psychologiques servant à l’étude de la recherche du “Moi”

1- Le nomadisme intérieur à la quête d’identité

   La tragédie syrienne est au centre du roman, révélée à travers la vie d’un orphelin syrien, Asmar, qui est incapable de voir clairement la voie vers l’avenir. Sans attaches, sans passé, il est lancé dans la spirale de l’inconnu, dans la quête d’un Moi perdu dans les tourmentes d’une guerre absurde et inachevée. Tout au long de son périple, Asmar ne rencontre que des êtres déchus, ayant connu les atrocités des guerres, du terrorisme et de l’humiliation.

1.1. Une enfance morcelée

   Élevé dans un orphelinat à Londres, le narrateur se sent suspendu dans une réalité infime. Sa mémoire, dépourvue de tout ce qui le relie à son enfance, cache dans ses flots la réalité renfermant son authenticité. La partie amputée de son passé est pour lui une infirmité qui ne peut être récupérée qu’en touchant à l’essence de son être pour retrouver l’enfant mort en lui avec tout son passé emporté avec son pays en ruines: “J’étais arrivé là [à l’orphelinat] sans nom et sans âge. Sans souvenir. (…) J’étais un garçon “qui portait sa tragédie dans ses nuits”“[2]. Dépouillé de son identité, le narrateur est déconcerté par l’obscurité qui envahit son passé l’empêchant de se reconnaître. Étant donné que “les souvenirs sont notre fondement, le sol sur lequel nous marchons durant toute notre vie [et qu’] ils décident de nos choix et influencent notre destinée”[3], la privation des souvenirs devient une tare dans la construction de la personnalité. Elle fait plonger le narrateur dans un monde obscur qui étouffe en lui toutes prémices d’une vie épanouie. Lors de son arrivée à Londres, grâce aux missions humanitaires, on n’a pas su son vrai nom, il fut appelé Asmar, (le brun), par l’orphelinat à cause de la couleur de “[sa] peau mate et de [ses] cheveux noirs”[4]. Comme le prénom d’une personne est susceptible de participer à l’image de soi, Asmar est privé de se reconnaître: “le nommer c’est l’assujettir, le faire exister dans la société qui est la sienne, l’individualiser”[5]. Le monde enfantin obscur d’Asmar prend des dimensions plus vastes avec l’absence de son nom réel.

   Durant son séjour à l’orphelinat, le narrateur avait besoin de se créer une identité dans la recherche du “Moi”. La quête d’une identité pousse Asmar à se créer dans un monde virtuel en s’identifiant à des figure héroïques: “je m’étais forgé une mémoire fabuleuse dans le métal des contes de la mythologie et des hauts faits des chevaliers sans peur et sans reproche (…) Acquitté de la mémoire de l’hérédité (…) ma nouvelle mémoire s’était construite au fil de la vie extraordinaire des héros légendaires”[6]. Asmar souffre du manque de la présence paternelle qui est essentielle dans la transmission à l’enfant des règles lui permettant d’acquérir force de caractère, pouvoir de contrôle, sens moral et désir d’affirmation positive de soi. Il substitue ce manque par des figures héroïques qui lui permettent de récupérer une partie de son “Moi” mutilé. Selon Paul Ricœur, “l’identité d’une personne, d’une communauté, est faite de ces identifications à des valeurs, des normes, des idéaux, des modèles, des héros, dans lesquels la communauté se reconnaît. (…)»[7] et contribue “au maintien de soi”[8]. Les héros légendaires deviennent les substituts d’un idéal paternel à imiter: “J’entrais dans le miroir et je devenais ce Lancelot du Lac élevé par la fée Viviane (…) je n’avais pas d’âge, je me fabriquais sans peine une identité glorieuse, chevaleresque, héritée de père en fils (…) Alice me prêtait ses recettes pour passer de l’autre côté du miroir”[9]. Le “miroir” d’Alice, repris deux fois par le narrateur, permet à Asmar d’accéder au monde virtuel dans lequel il construit, encore enfant, une identité dans le chevauchement des histoires héroïques. Selon Lacan, “le passage au-delà du miroir (…) permet d’accéder à un au-delà du moi”[10]. Pour échapper à une réalité où il se sent un être incomplet, Asmar s’intègre dans le monde virtuel à travers le miroir d’Alice qui devient le seuil pour accéder à un monde apaisant où le “Moi” est créé par des figures ascensionnelles dérivées des “filiations héroïques des “fils du ciel” et du soleil. (…) On verra se confondre les attributs de la paternité, de la souveraineté et de la virilité”[11]. La fusion dans ce monde virtuel permet à Asmar d’avoir une puissance qui peut masquer sa peur et sa faiblesse. En quittant l’orphelinat à l’âge adulte, Asmar sent qu’il effectue un pas vers l’inconnu: “À ce tournant de ma vie, les questions identitaires commencèrent à occuper ma pensée”[12]. Les études cinématographiques lui permettent de tisser un monde virtuel qui lui assure une zone de sécurité. Lorsqu’il travaille avec un réalisateur anglais, Peter Highland, la quête identitaire prend sa vraie dimension. Un monde nyctomorphe se tisse autour du narrateur et le plonge dans l’obscurité de son enfance lorsqu’il commence la projection quotidienne des reportages sur la guerre en Syrie sous la demande de Peter Highland qui préparait un projet documentaire sur cette guerre. Ce dernier s’est inspiré d’un livre intitulé Alep mon amour dans lequel Nadia Damiens, une syrienne, témoigne de la férocité de la guerre à travers l’histoire de sa vie. Visionner les reportages est devenu un rituel qui s’empare de l’âme d’Asmar: “je sentais la sueur ruisseler de mes pores et me couvrir comme un linceul. Un cauchemar oublié comme un corbeau noir revenait planer sur mon épaule”[13]. La mort surgit du passé du narrateur le livrant au monde obscur qui l’habite. Avec l’emploi de “ruisseler”, il y a évocation de “l’eau qui coule (…) figure de l’irrévocable (…) une eau mortuaire, toute imbibée des terreurs de la nuit”[14]. Comparée au “linceul”, la sueur véhicule dans ses flots la mort évoquée aussi par l’allusion au “corbeau”, “figure de mauvais augure, liée à la crainte du malheur”[15]. Cette plongée dans la mort n’est pas une étape pour accéder à une renaissance. Elle ouvre les portes de l’Enfer devant le narrateur qui trouve un accès à un monde passé ténébreux et chaotique. Asmar emprunte cette voie volontairement pour fouiller dans la mort les bribes de son identité perdue.

1.2. L’initiation inachevée

   La tentative du narrateur de chercher son enfance entraîne la ruine de son monde adulte. La force qui l’attire vers son passé, rejette vers la périphérie tout ce qui constitue son identité actuelle. La rencontre de Julie est une étape initiatique dans la vie d’Asmar dans la mesure où elle l’aide à récupérer le vide affectif qui ronge son âme. Comme l’initiation “est transmutation du destin”[16], Julie aide Asmar à connaître une renaissance: “j’avais éprouvé un étrange frisson, comme lorsque j’entrais dans la peau de Tristan pour aimer Iseult”[17]. Le “frisson” est le souffle qui vient animer l’âme ternie d’Asmar. Les personnages qui alimentent son imagination prennent chair. Le monde virtuel dans lequel il vivait commence à se concrétiser dès sa rencontre avec Julie qui par sa féminité dépasse le rôle de l’amante pour incarner l’image de la mère à jamais perdue. Julie est “une femme qui savait dessiner des lieux de plaisir et de jouissance. (…) Je venais de naître. Dans cette campagne qui prenait déjà les couleurs chatoyantes de l’automne, j’ai appris à compter les étoiles, à savourer la vie bien éveillé”[18]. Julie réussit à l’extirper de ses fantasmes et de son identité virtuelle pour le ramener à une vie authentique où il commence à construire une vraie identité. La naissance révélée à travers, “naître” et “la vie bien éveillée”, est réalisée dans une ambiance où domine les images de l’intimité manifestées par “les couleurs chatoyantes” qui sont liées “directement dans les constellations nocturnes à l’engramme de la féminité maternelle”[19]. Auprès de Julie, Asmar construit un cocon imprégné par les empreintes d’une maternité manquée: “Je dégustais dans ses bras ce nectar dont elle m’avait parlé, voluptueusement bercé dans une grande vague dont en même temps je craignais déjà le ressac”[20]. La présence maternelle se révèle dans l’emploi des expressions, “dans ses bras”, et “bercé”, qui sont l’expression d’une intimité des puissances maternelles. Les traces de cette intimité sont évidentes surtout à travers le désir du narrateur de se sentir caressé et protégé par la femme substituant la chaleur maternelle de laquelle il fut privé.

   En introduisant Julie, dans son monde nocturne hanté par les images du sang, de ruines et de mort, le narrateur perd sa bien-aimée à jamais: “j’avais fini par accepter de l’introduire dans mon antre (…) Cette femme qui croyait partager ma vie n’était pas prête à partager la solitude morbide qui se lisait sur des visages dépossédés de tout (…) [Elle] se vit tout d’un coup au plus noir de l’enfer”[21]. Partager avec Asmar le visionnage des documentaires ouvre devant Julie le monde sombre dans lequel il se cherche. Les “visages dépossédés”, incarnant la perte ressentie par Asmar, n’est que le reflet de la tourmente d’un peuple victime des démons qui le massacrent et lui ouvrent les portes de l’abîme. Comme le visage est “le moi intime partiellement dénudé, infiniment plus révélateur que tout le reste du corps”[22], qualifié de “dépossédés”, il se soustrait de ce rôle singulier dans l’identification de l’identité. La perte du narrateur est l’expression de l’exode et de l’extinction de tout un peuple condamné à devenir éparpillé dans le monde. Le nomadisme de son âme entraîne la perte de la vie stable qu’il essaie de construire à Londres.

   Asmar ne perd pas seulement Julie, mais aussi Armando, son ami élevé avec lui dans l’orphelinat londonien. Il trouve dans Armando son alter ego, son double élevé comme lui, sans racines, privé de ses parents, à l’exception qu’après une certaine période Armando a pu reconnaître qui étaient ses vrais parents et comment ils furent tués par le cartel colombien. La présence d’Armando est importante dans la construction de l’identité d’Asmar: “L’Autre manquant, véritable création du sujet, est le support de ses attentes, de ses questions sur l’existence et de son désir”[23]. Asmar trouve dans la présence d’Armando à côté de lui un équilibre intérieur en trouvant en lui une âme jumelle: “il était le fils du soleil. Qui étais-je, moi? Je ne savais même pas ce que je cherchais (…) au contact chaleureux d’Armando, j’étais moins frileux, moins méfiant, mieux armé”[24]. Pour Asmar, connaître soi-même, à travers la relation établie avec Armando le complète et l’aide à réussir la traversée de l’étape de l’enfance dépourvue d’une identité bien définie. Le rapport d’Asmar avec Armando l’aide à affronter sa peur, son doute et l’insécurité dans laquelle il vit. Le schème ascensionnel représenté par “le soleil” montre le côté lumineux vers lequel Armando attire Asmar, l’extirpant du gouffre dans lequel il sombre. Bachelard parle de l’isomorphisme qui unit l’ascension à la lumière: “c’est la même opération de l’esprit humain qui nous porte vers la lumière et vers la hauteur”[25]. Cette luminosité ascensionnelle est une étape vers “une résurrection”[26] qui pourrait donner un sens à la vie d’Asmar, une certaine forme d’identité substituant l’identité perdue. Le lieu privilégié qui rassemblait les deux amis hors des murs de l’orphelinat était “le square” qui devient le centre où s’entremêlent leurs rêves, leurs soucis et leurs passions, même après leur départ de l’orphelinat. Ils créent dans le square leur propre monde qui acquiert une sacralité par sa consécration. Mircea Eliade montre qu’”à partir d’un Centre on projette les quatre horizons dans les quatre directions cardinales (…) l’installation dans un territoire équivaut à la fondation d’un monde”[27]. Asmar et Armando ont construit leur propre monde au sein du square, témoin de leur quête perpétuelle de leur identité perdue: “Nous étions dans ce square, unis par une fraternité tissée de nos besoins mutuels d’amour. Tous deux atteints de cette maladie incurable qu’est l’arrachement (…) nous étions fait le serment solennel d’un amour fraternel durable”[28] . La fraternité incarne le besoin d’Asmar de l’Autre qui “n’est pas seulement la contrepartie du Même, mais [qui] appartient à la constitution intime de son sens”[29]. Les deux amis sont sans familles, leur destin constitue une seule trame où chacun cherche à construire son “Moi” à travers la présence de l’autre. C’est au centre, dans le square, où leurs âmes se soudent pour constituer une unité comblant leur sentiment d’être des personnes incomplètes, que se réalise aussi la rupture de ces deux amis. Pour Armando, lancé vers la vie, le retour d’Asmar au pays d’origine, déchiqueté par les actes de violence, est un pas vers le précipice. La dernière rencontre, après tant d’années passées ensemble, est un moment décisif dans le rapport entre ces deux âmes jumelles: “Tard dans la nuit, il avait proposé d’aller nous asseoir comme le passé sur ce banc du square sur lequel nous avions tant de fois rêvé nos vies (…) Je serais heureux de te confier ce cahier (…) Tout y est”[30]. La rupture entre les deux amis prend la forme d’une extirpation du cocon intime de la fraternité. La “nuit” est “la source intime de la réminiscence (…) [Elle] est symbole de l’inconscient et permet aux souvenirs perdus de “remonter au cœur”“[31]. La nuit devient complice de cette intimité qui se perd dans le flot d’un destin attirant Asmar vers un autre monde où réside une identité perdue par les atrocités de la guerre. Au centre du square, qui est témoin de la création du monde intime regroupant deux âmes en quête de leur entité, se dissout le lien qui les a rassemblés. La rupture est physique mais l’âme des deux amis reste vivante dans le passé réduit à des pages où se sont inscrits leurs “espoirs, mais aussi le cauchemar”[32]. Armando, l’alter ego, ne réussit pas à combler le vide d’une enfance manquée: “Je sortis du square, le cœur lourd de tristesse et d’abandon. J’enterrais ma troisième grande séparation sous les décombres d’une vie en ruines: ma mère, Julie, et maintenant Armando”[33].

   Un troisième personnage s’introduit dans la vie d’Asmar l’aidant dans sa quête d’identité, Thomas, le mendiant. Ce dernier partage avec Asmar l’exil et l’existence sous un faux nom, Stephan, qu’il avait inventé en échappant des camps de concentration nazis. Thomas est un rescapé polonais de l’enfer nazi à Auschwitz lorsqu’il était encore enfant, puis une seconde fois au goulag et finalement il s’installa à Londres: “Thomas, est mon nom de baptême, attendait mon extermination ; je l’ai laissé moisir sans moi dans les chambres à gaz”[34]. Le nom qui permet à l’individu de devenir “une personne consciente de soi et de son destin”[35] est ce qui manque à Asmar et à Thomas. Mais, Thomas ne vit pas le changement de son prénom tragiquement comme le fait Asmar. Pour Thomas, Stephan est le nom qui l’a aidé à se racheter et à renaître sous une nouvelle identité. Les termes, “extermination” et “moisir”, lient le nom Thomas à la mort. Acquérir un nouveau nom est ce qui permet l’accès à la liberté: “Les nuits étaient denses, elles protégèrent ma fuite. Personne à mes trousses, je me sentais les ailes de la liberté sur les épaules. Sans papiers, juste un nom d’emprunt, je finis par atterrir sur ce trottoir, petit territoire d’asile”[36]. Le nouveau nom annonce une nouvelle étape dans la vie de Thomas qui prend une trajectoire ascensionnelle symbolisée par l’«aile” qui est “l’outil ascensionnel par excellence”[37]. Thomas incite Asmar à se lancer, lui aussi, vers l’avenir. Le passé obscur ne mérite pas d’être objet de quête: ”- Un nom mort n’existe pas dans la mémoire. (…) tu es à la recherche de ton passé, quelle folie ! (…) Ton passé a été enseveli. Va au-devant de la vie, tu verras, elle sera ton voyage, ta voie qui mène au soleil”[38]. Le schème ascensionnel se manifeste à travers le “soleil” qui par son symbolisme “de l’élévation et de la lumière, du rayon et du doré”[39] est le signe d’une projection vers un avenir radieux en dépit de tous les malheurs du passé. Malgré les tentatives de Thomas de montrer à Asmar le chemin de la délivrance par l’oubli du passé dont la quête sera vaine, Asmar se trouve attiré par des forces intérieures vers l’enfance, objet de sa quête. Être privé de son nom, “c’est le rejeter dans le néant, hors de la communauté des hommes qui, tous et partout, portent un nom”[40]. Le rejet d’un troisième initiateur de sa vie montre le besoin d’Asmar de s’enraciner dans sa terre natale. Sans passé, il n’est pas capable d’avancer dans sa vie: “Thomas – Stephan – avait perdu toute identité. (…) Stephan n’était relié qu’au néant et je voyais mon reflet dans son eau obscure”[41]. L’”eau obscure» apparaît comme un élément effrayant et terrible, elle “remplit une fonction psychologique essentielle: absorber les ombres, offrir une tombe quotidienne à tout ce qui, chaque jour, meurt en nous”[42]. L’eau est ainsi une invitation à mourir par le reflet d’une vie déchue, menée à l’ombre. La quête à la quelle Asmar refuse de renoncer est une quête qui le plonge dans le passé. Il repousse toute tentative de sauvetage qui le mène vers un avenir sans racine: “Il me reprochait de mettre au jour son passé alors qu’il le fuyait (…) il me reprochait aussi de chercher désespérément mon passé”[43]. Le retour au passé signifie pour Asmar le retour à ses origines et la quête de sa vraie identité dans la Terre-Mère.

2- Les tentatives du rachat

   L’obsession d’Asmar d’aller en quête de ses origines dans un pays déchiré par la guerre, encouragé par les reportages qu’il observe minutieusement chaque soir, contribue à la perte de tous ceux qui lui ont tendu leur main pour le sauver. Julie, Armando et Thomas n’arrivent pas à le convaincre de la vanité de fouiller dans le passé. C’est surtout l’impact qu’exercent sur lui les yeux pleins de larmes d’un enfant remarqué dans l’un des reportages qui pousse Asmar au voyage: «Et j’eus cette illumination. Cet enfant aux grands yeux baignés de larmes, de désarroi, si égaré et si seul parmi des milliers de gens à la merci d’une guerre qui faisait rage, c’était moi”[44]. Asmar retrouve son enfance dans les yeux pleins de larmes de cet enfant dont la misère résume tout le trouble vécu par le narrateur lui-même. Le retour à la Terre-Mère ouvre un nouveau chapitre dans sa vie où le fanatisme charrie la violence et la haine lui montrant l’image la plus hideuse d’une humanité en décadence. Comment trouver le salut dans une terre déchirée par la haine? Découvrir sa vraie identité est-elle vraiment une étape vers une délivrance dans un pays où l’Autre est dénié?

2.1. Le retour au chaos de la Terre-mère

   Le moment décisif qui lance Asmar vers l’aventure, c’est lorsque son regard croise celui de l’enfant aux yeux pleins de larmes. La complicité du regard entre lui et l’enfant révèle une nouvelle vérité: c’est le “Moi” qui se cherche à travers le destin de cet enfant: “Ses yeux pleins de larmes me fixaient. Il semblait si seul dans ce monde”[45]. Avec l’emploi du mot “fixaient”, le regard de l’enfant acquiert une puissance qui domine le narrateur. Le regard qui “est une fenêtre ouverte sur le monde intérieur et sur la rencontre authentique avec l’autre […] mobilise l’attention et va bien au-delà des mots. Le regard lui-même parle”[46]. À travers le regard de l’enfant, une fusion s’accomplit entre lui et le narrateur. Il l’invite à entrer dans son monde obscur imbibé de larmes qui, liées à l’eau, seraient “la matière du désespoir”[47]. Cette fusion se révèle aussi à travers le jaillissement d’une émotion incontrôlable: “Je parvins à sécher d’un revers de main les larmes qui m’inondaient le visage, comme pour sécher les siennes”[48]. L’emploi des pronoms “m’” et “les siennes” montre la fusion du narrateur et de l’enfant dans un même être. En comparant la photo de l’enfant de la pellicule avec celle du narrateur enfant du cliché d’identité collé à son dossier pour officialiser son internat, il s’identifie à l’enfant: “Un même désarroi figeait leurs traits ; même peau mate, mêmes cheveux bouclés, même drame au fond des yeux”[49]. L’identification est complète sur les plans, physique et spirituel. À travers les photos, Asmar retrouve son âme perdue dans l’âme de l’enfant, prisonnière d’un drame étouffant. La fusion se matérialise par une parenté qui s’effectue en s’infiltrant dans sa chair: “J’étais visé, traqué par ces larmes qui s’insinuaient dans ma chair par les chemins indélébiles qui s’étaient creusés au cours de toutes ces nuits enfiévrées (…) Des années s’étaient écoulées pour qu’enfin nos chemins se croisent”[50]. Les larmes sont associées au sang, “considéré comme le véhicule de la vie”[51]. Une régénération s’effectue dans l’âme du narrateur en inhalant l’âme de l’enfant qui, par son allure désespérée, l’invite à son royaume de mort. Donc, c’est une régénération mortuaire qui mène vers les origines hantées par des images sanglantes. Le regard s’allie au cri: “Ce cri, je l’ai entendu jaillir de mes tripes, comme un appel au secours, à la vue d’un enfant qui avait un instant occupé l’écran”[52]. Le “cri” est “isomorphe des ténèbres”[53]. Il est incitatif au départ dans la quête ténébreuse du passé. La régénération funèbre prépare l’accès du narrateur à une nouvelle étape de sa vie: “Je m’enfantai dans le silence épais du studio, dans un spasme douloureux qui empoigna mes tripes”[54]. Le retour aux origines prend la forme d’un accouchement difficile dans le passé, enterré dans une mémoire morcelée. Il intègre le narrateur dans son pays d’origine où rôde la mort: “ce sang qui m’éclabousse chaque fois que je tourne la roue du passé sur ma console, c’est mon sang”[55]. Malgré toute la tragédie qui inflige le pays natal, le besoin d’aller dans une odyssée qui éparpille le brouillard ensevelissant son passé devient une nécessité. Le “sang” rattache le narrateur à son pays d’origine dans un rapport de filiation. Mais ce sang est “redoutable à la fois parce qu’il est maître de la vie et de la mort”[56]. Le sang qui coule dans son corps emporte la mort dans ses flots. Il fait naître Asmar “sous un soleil carnivore et sans ombre”[57]. Le terme “carnivore” est lié à la mutilation qui manifeste “l’image du mal dévorant”[58]. Le rite de passage à l’autre monde, celui de l’enfant aux yeux pleins de larmes, se produit à travers la perte de conscience: “Le vertige me reprit, je me sentis m’abîmer dans un voyage à rebours”[59]. Une mort initiatique s’effectue par le vertige. Mircea Eliade montre que “la mort arrive à être considérée comme la suprême initiation, c’est-à-dire comme le commencement d’une nouvelle existence spirituelle”[60]. Mais dans le cas d’Asmar, le “vertige” le projette dans la nuit de son enfance en suivant un chemin “à rebours”. Il le transmet à une nouvelle existence dont le but est bien défini: “j’étais prêt à aller sur les chemins de ce qu’avait pu être sa vie”[61]. Dans sa quête identitaire en suivant les traces de l’enfant aux yeux pleins de larmes, le narrateur entreprend une descente aux enfers.

   Le retour à la Terre-mère est une renaissance à rebours. Asmar retourne à Alep qui a, elle-même, perdu son identité. L’image bienheureuse d’une ville paradisiaque que le narrateur a alimentée par la description faite dans Alep mon amour – le livre qui porte sur la vie de Nadia Damiens, une rescapée de la guerre syrienne – est perdue à jamais. Dépourvue de sa mémoire, cette ville porte les traces d’une guerre ravageuse. L’histoire de la belle Alep, amputée de la mémoire collective, est identique à celle du narrateur dont le passé est enterré dans une obscurité sinistre: “À mon arrivée à Alep, j’étais nourri de la description de Nadia Damiens (…) J’étais un personnage de son roman, vivant l’allégresse des temps heureux (…) Pourtant, un monde archaïque et austère planait sur cette capitale”[62]. La fiction qui a substitué la mémoire perdue d’Asmar s’écroule devant une réalité décevante. Le trajet qui va de la séparation à la reconstitution de la totalité perdue avec la Terre-mère est achevé par la descente aux enfers: “Alep était une mémoire morte (…) son âme restait muette (…) Il me semblait entendre les Allah Akbar hilares s’élever des chantiers pétris d’ossements, de chantiers dont s’était nourrie la terre toutes ces dernières années”[63]. C’est un espace où la mort rôde. Les “Allah Akbar” prononcés par les djihadistes en exécutant leurs missions suicidaires continuent à retentir dans la ville qui, avec les termes “pétris”, “ossements” et “nourrie”, porte le deuil. Ces images nyctomorphes sont redondantes dans la description de la ville montrant un monde chaotique dont l’ambiance infernale y domine: “Dans cet Orient où j’étais venu à la recherche de mes origines, un destin inouï m’attendait. J’ai fait sur terre l’expérience de l’enfer, celui d’hommes nourris à la chair et au sang humains”[64]. L’archétype de l’ogre s’impose avec l’emploi “nourris à la chair et au sang” révélant “l’obsédante image du mal dévorant (…) [et la] terreur devant la mort dévorante”[65]. Les djihadistes incarnent le mal. Ils créent un monde qui reflète leur idéologie extrémiste, exterminant tous ceux qui ne se soumettent pas à leur volonté: “Ici, seuls ceux qui sont tombés en martyrs, autrement dit les tueurs, les terroristes, les égorgeurs qui hurlent Allah Akbar en tranchant des têtes innocentes, seront autorisés à jouir d’une reconnaissance et de la félicité éternelle”[66]. L’énumération sert à montrer l’image terrifiante des djihadistes qui, au nom de l’islam, commettent les crimes les plus hideux. L’opposition entre “martyrs”, “félicité éternelle” d’une part et “terroristes”, “égorgeurs”, “tueurs” d’autre part montre l’incompétence entre le vrai message qu’apporte la religion et les actes criminels commis par ce parti manipulateur. Dans sa recherche de son identité, Asmar devient lui-même victime des djihadistes. Une étape initiatique le prépare à l’insertion dans leur monde obscur: “Ces hommes traquent l’étranger qui se hasarde dans leurs quartiers. (…) N’oublie pas que tu es une cible type. Un homme jeune, seul, oisif, sans protection. Ça sème le doute et la méfiance”[67]. La ville est hantée par les djihadistes qui dominent l’espace. Leur but est de traquer les jeunes vulnérables issus des milieux “où fleurit le chardon, là où la fange pousse à la délinquance, à la drogue et où s’exercent les commerces suspects”[68]. Ces jeunes appartiennent à des milieux défavorables et souillés, ils sont facilement la proie de ces gens manipulateurs. L’initiation du narrateur se fait dans un monde à l’envers. C’est un monde où “Ils m’avaient emmené dans une cellule à barreaux, où j’allais m’acclimater aux odeurs que je finis par refuser d’identifier. L’air était suffocant»[69]. La “cellule” est un espace obscur pareil aux antres qui sont l’envers de l’”Axis Mundi”, le pilier cosmique permettant “l’élévation au ciel suprême, c’est-à-dire l’acte de transcender le monde”[70]. À travers l’air néfaste, “odeurs … refuser d’identifier”, “air … suffocant”, il y a renversement des valeurs ; l’acte de transcendance se transforme en descente aux Enfers. L’air qui “représente le monde subtil intermédiaire entre le ciel et la terre”[71], devient un élément qui attire le narrateur vers le bas, dans un monde obscur où toutes les valeurs sont renversées. Asmar est obligé de retenir non seulement le Coran, mais aussi “les lois surajoutées par les intégristes”[72]. Le Livre Saint devient l’objet de manipulation des intégristes qui créent leurs propres lois dans ce monde qui va à l’encontre de tous les préceptes religieux et les concepts moraux diffusés par les différentes religions: “Chaque matin, un cheikh venait m’apprendre à prier et à lire des versets puisés dans le livre sacré, dans cette ambiance maculée du sang des suppliciés”[73]. L’initiation à la religion s’effectue dans un espace hanté par la mort où le “sang” est lié au massacre des innocents. L’image erronée d’un Dieu cruel que les djihadistes imposent à l’esprit des initiés désoriente ces derniers: “manipulé par un fanatisme archaïque qui faisait de moi un djihadiste au service d’un Dieu vicieux”[74]. L’adjectif “vicieux” qualifiant Dieu s’oppose au vrai concept d’un Dieu miséricordieux tel qu’il se trouve dans le Coran qui met l’accent, à de nombreuses reprises, sur la miséricorde et la grâce d’Allah: “Chaque Sourate, (sauf la Sourate 9) commence par ces mots “Au nom d’Allah, le compatissant, le miséricordieux”“[75]. C’est donc une initiation qui est une régression vers un monde chaotique. Asmar est envoyé avec une équipe pour amener des vivres à Homos où la population est encerclée, payant la dette de sa rébellion. À leur arrivée une explosion change sa destinée: “Autour de moi, ce n’était que flammes, cris et gémissements, une nausée de chairs calcinées, de la pierre et du métal enchevêtrés”[76]. Le narrateur vit un moment apocalyptique où il était sur le seuil d’une mort imminente. Les liaisons isomorphiques entre les “cris”, les “gémissements” et les “chairs calcinées” créent un monde en chaos comparé “aux ténèbres infernales”[77]. Le massacre des innocents est un signe précurseur de l’Apocalypse qui se manifeste par un retour au chaos primitif d’avant la création. L’Ancien Testament établit le rapport entre le meurtre par masse et l’Apocalypse: “Il y aura des antres remplis de cadavres, le sang suintera des rochers (…) La terre entière retentira des gémissements des mourants”[78]. Dans cette ambiance apocalyptique une régénération s’effectue. Asmar réussit à se sauver la vie et à se racheter en sauvant un homme en proie des flammes qui dévoraient son corps: “cette torche humaine fut ma libération”[79]. Il accompagne l’homme brûlé, Charif Bayram, à Beyrouth où il est transporté pour qu’il soit hospitalisé.

   La rencontre fatale avec Chérif Bayram porte la clé du passé inconnu du narrateur. En associant l’histoire de Nadia Damiens avec celle de Chérif Bayram, le narrateur découvre le lien d’amour qui aurait pu lier les deux. Cet amour était maudit et refusé par les parents à cause de l’appartenance de chacun d’eux à une religion, lui musulman, elle chrétienne. Le fruit de cet amour fut un enfant qui finit par être sauvé par des missions humanitaires lorsque la guerre ravagea le pays: “Toute cette odyssée à la recherche de mes origines se dressait à cet instant devant moi. Se pouvait-il que je sois le fils de ces deux êtres maudits? [Ils] n’avaient pas épargné l’enfant de leurs âmes sombres (…) leur enfer m’apparaissait plus meurtrier encore que l’enfer que j’avais vécu à Alep”[80]. Si le narrateur arrive dans sa quête identitaire à découvrir ses origines, il perd simultanément son âme. Les termes “maudits”, “sombres”, “enfer”, “meurtrier” véhiculent une autre forme d’obscurantisme lié au cloisonnement religieux. L’amour, qui est censé être l’agent menant à rassembler homme et femme pour créer une vie ensemble, devient victime de l’appartenance religieuse. Les “âmes sombres” portent les marques d’une “vision ténébreuse [qui est] toujours une réaction dépressive”[81]. L’enfant, fruit de l’union de Nadia et de Charif, est maudit dès sa naissance à cause du fanatisme religieux qui est la source du mal rongeant le pays. L’identité déformée à laquelle aboutit la quête rend le passé plus sombre et l’âme du narrateur meurtrie. Seule une quête intérieure et spirituelle l’aide à se reconnaître.

2.2. Art et spiritualité: le rachat possible

   La musique prend une grande dimension dans le roman permettant aux personnages de transcender l’espace et le temps en touchant le plus profond de leur âme. C’est à travers la musique qu’Armando, l’ami d’Asmar dans l’orphelinat, a pu reconstruire sa propre identité: “Armando aimait la vie, et proclamait en chansons messagères, en musique qui portait les couleurs de la patrie dont il n’a plus de souvenirs. (…) Il devint le porte-parole des exilés, leur inventant une terre en chants nostalgiques, arrosés de punch et d’ivresse”[82]. Les chansons d’Armando véhiculent les éléments qui composent le patrimoine de son pays natal. Ses recherches sur son pays lui ont permis d’alimenter son imaginaire par tout ce qui fait de lui Armando le colombien. La musique devient pour lui le langage qui fait jaillir les sentiments de nostalgie refoulés au plus profond de son être. Les “chansons nostalgiques” permettent une “fusion, [une] communion du macrocosme et du microcosme”[83]. La musique, dans son rôle de “toucher en nous le noyau le plus secret, le point d’enracinement de tous les souvenirs”[84], permet aux auditeurs dans une cérémonie organisée par des réfugiés irakiens au Liban d’entrer en fusion avec leur pays à travers les chansons chantées par Sahar l’irakienne: “Les roucoulements du nay, déchirants et mélancoliques (…) devenaient une ode à la joie (…) Sahar et son oud exaltaient les blessures, réveillaient dans les âmes des auditeurs des sources de larmes que l’on croyait taries dans la poussière de l’exil. Des psaumes coulaient de sa gorge comme des actions de grâce, grimpant plus haut que le souvenir des bombardements. Ils émanaient des entrailles d’une femme, où la joie de la délivrance est plus forte que les plus grandes douleurs”[85]. Asmar assiste à la cérémonie et vit le même exil ressenti par les auditeurs irakiens, privés de leur pays originaire. La musique devient pour eux le souffle qui ranime leur cœur. Elle aide le narrateur à accéder aux contrées lointaines de son pays imaginaire qu’il cherche à s’en approprier. Les “blessures”, “les larmes”, “l’exil”, qui alimentent les âmes des exilés trouvent leur remèdes à travers le chant. Le nay par sa musique permet l’accès à un état d’extase, il “symbolise l’âme séparée de sa Source divine et qui aspire à y retourner”[86]. Cet instrument musical permet à Asmar de se transmettre vers une dimension spirituelle qui emplit son âme perdue. La chanson est associée aux “psaumes” qui servent de prières et de chants religieux dans la liturgie. L’emploi du mot “psaumes” donne au chant une dimension spirituelle qui purifie l’âme. La musique dans sa mission de transcendance tire Asmar, en écoutant Armando chanter, de son désespoir et de sa perte: “Armando prenait des allures de prêcheur d’émotions humaines, de rédempteur qui délivrait à chacun de nous un espoir, une raison d’être”[87]. Elle est le symbole d’”une régression vers les aspirations les plus primitives de la psyché”[88]. Donc, la musique permet au narrateur de se recroqueviller dans son monde intime où résident les émotions les plus profondes, lui permettant de mieux se découvrir. Les chansons d’Armando sont aussi une source de vie animée par la grande image maternelle: “Son chant partit vers les étendues lointaines où nous avions perdu nos mères, où notre chant leur parlait”[89]. L’expression “leur parlait” montre le pouvoir de communication de la musique qui permet de combler le manque de la présence maternelle, “source originelle du bonheur”[90]. C’est la musique qui est à l’origine de la relation amoureuse entre Chérif et Nadia Damiens. Éprise par son chant, Nadia défie ses parents et sa religion pour rester à côté de Chérif: “cette amante (…) était devenue sur son oud un chant divin”[91]. C’est toujours l’image de la femme, liée à la musique en dépassant le temps, qui sert à accéder à une euphorie comblant tout le mal de la séparation.

   La rédemption s’effectue, non seulement à travers la musique, mais aussi à travers les élans mystiques qui donnent un sens à la vie du narrateur. Les deux religions célestes, l’islam et le christianisme, purifient son âme en lui permettant d’entrer en communication avec un Dieu clément: “Du haut des minarets me parvenaient les chants des muezzins, partant au gré du vent aux quatre coins de la ville. La première fois que je les entendis s’envoler dans l’air surchauffé de midi, ces paroles divines me plongèrent dans une sorte d’extase”[92]. Le “chant des muezzins” emporte l’âme du narrateur vers un au-delà serin, il est un rai de lumière qui l’aide à se soustraire de la réalité avec ses épreuves terrifiantes. Les éléments accompagnant le chant sont ascensionnels. Les termes “haut”, “vent”, “s’envoler”, “air”, forment un “paysage aérien”[93] symbolisant l’élévation qui mène le narrateur à la purification spirituelle. Au symbolisme du vol est liée la “transcendance de la grandeur”[94]faisant accès à la pureté céleste. Avec son ubiquité – les “quatre coins de la ville” – le chant permet au narrateur d’accéder à un monde dépourvu de la pesanteur des péchés humains. Les élans spirituels sont vécus dans les lieux sacrés où le narrateur trouve l’espoir dans les moments sombres. La quête du sacré prend la forme d’une communion avec Dieu à travers les prières sous forme d’un chant divin duquel Asmar puise la force: “Chaque fois, une force semblait clouer mon corps sur place alors que mon esprit s’envolait loin de moi à limite de l’expérience du sacré. Cet Allah Akbar avait quelque chose de mystique. Affranchi des contingences du temps et de l’espace”[95]. Avec l’emploi de l’adjectif démonstratif “cet”, s’établit une précision sur l’emploi de “Allah Akbar” qui prend un sens différent que lorsqu’il est prononcé dans des combats djihadistes. Cet “Allah Akbar” prononcé par les muezzins est un moyen d’entrer dans une transe euphorique que révèlent les termes “l’expérience du sacré” et “quelque chose de mystique”. Cette plénitude spirituelle est revécue par le narrateur pendant une messe dans une église au centre-ville de Beyrouth à laquelle assistent des réfugiés iraquiens: “L’Alléluia qui monta du chœur, s’empara de moi comme une catharsis. Je sentais son effet libérateur sur ces chrétiens irakiens (…) Debout, les yeux levés vers le ciel, leurs bras portaient au plus haut le poids de leurs souffrances[96]. La scène au sein de l’église imite dans sa transcendance le chant des minarets. Les symboles de l’ascension sont récurrents: “monta”, “les yeux levés”, “au plus haut”. Ils servent à montrer comment l’accès à la spiritualité est le moyen thérapeutique des âmes perdues dans un Orient affligé par les guerres. Asmar trouve sa vraie identité à travers les milliers d’exilés en Orient condamnés à subir un destin tragique: “Je percevais la double appartenance de la musique, exaltante, futuriste en Occident, pathétique en Orient. La Toccata, impérieuse, libre, orageuse puis calme, et ce “nay” nostalgique taillé dans le fragile roseau, exprimant l’infinie tristesse d’un Orient témoin éternel du rêve impossible de cette région du monde”[97]. Les images antithétiques, “exaltante, futuriste, libre / pathétique, fragile, triste”, opposent l’Occident à l’Orient. La musique devient le reflet des peuples: les uns se projettent dans l’avenir, les autres se régressent dans la nuit de la nostalgie. La quête identitaire d’Amar s’avère une exploration d’un monde qui a perdu son identité et dont la rédemption n’est possible qu’à travers un vrai retour vers une spiritualité salvatrice.

CONCLUSION

   Dans sa quête d’identité, Asmar, l’orphelin syrien, se cherche dans les décombres d’un pays en ruine, déchiré par des partis extrémistes qui ont déformé le vrai esprit de la religion. Durant son odyssée dans un Orient affligé par l’exil, Asmar découvre que la perte identitaire n’est pas individuelle et qu’elle afflige tout un peuple. Son âme trouve son reflet dans les blessures des âmes ruinées des exilés qui errent sans atteindre la fin de l’horizon de leur errance. Asmar subit une double perte. Entre une Terre-Mère engloutie par les ténèbres du fanatisme et l’identité des parents séparés par l’obscurantisme religieux, Asmar se trouve la victime d’un Orient qui a perdu l’essence de sa spiritualité. May Menassa nous montre à travers l’itinéraire emprunté par le personnage principal comment l’Orient a besoin de se redresser spirituellement pour trouver l’espoir dans les moments sombres. C’est la quête de la spiritualité qui peut être un phare dans la vie d’un peuple perdu, pouvant les aider à traverser de terribles épreuves. À travers l’étude de la quête d’identité dans L’Enfant aux yeux pleins de larmes nous suivons la quête identitaire d’un monde arabe qui perd son essence. La plume des écrivains francophones arabes peut-elle jouer un rôle dans l’éveil d’une Nation agonisante?

BIBLIOGRAPHIE

I- Ouvrage étudié

– MENASSA, May, L’Enfant aux yeux pleins de larmes, Encre d’Orient, Erick Bonnier, Paris 2019.

II- Ouvrages mentionnés

– BACHELARD, Gaston, Les Eaux et les rêves, Corti, Paris, 1942 L’Air et les songes, Corti, Paris, 1943.

– CHEVALIER, Jean, ALAIN, GHEERBRANT, Dictionnaire des symboles, Éd. Robert Laffont /Jupiter, Bouquins, Paris, 2005, 1059 pp.

– DURAND, Gilbert, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Dunod, Paris, 2002, 536 pp.

– ELIADE, Mircea, Mythes, rêves et mystères, folio essais, Paris 2002. Le Sacré et le profane, Gallimard, Paris 1987.

– LACAN, Jacques, Question préliminaire à tout traitement possible de la psychose, Seuil, Paris, 1966.

– LACARIÈRE Jacques, Au Cœur des mythologies, folio, 2002.

– PORGE, Erik, Les Noms du père chez Lacan J., Ères, Toulouse, France, 1997.

– RICOEUR, Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.

III- Sites consultés

https://www.psychologies.com. A quoi servent les souvenirs, Valérie Colin-Simard, mars 2010.

https://lacanquotidien.fr/blog/2012/02/lacan-quotidien-n145

– https://www.cairn.info/revue-spirale-2001-3-page-41.htm

https://paix-interieure.com/tag/interpretation-du-regard/

https://iqri.org/qui-est-dieu-dans-le-coran/

هذا البحث يعرض المخاض العسير الذي يمرّ به العالم العربي من خلال الرواية L’Enfant aux yeux pleins de larmes للكاتبة مي منسّى، صحافية وروائية لبنانية من مواليد 1939. لها دبلوم الدراسات العليا في الأدب الفرنسي. كانت أول مذيعة في بدايات تلفزيون لبنان ومقدمة برنامج “نساء اليوم”. بدأت مشوارها في العمل الصحافي في التلفزيون عام 1959 واشتغلت ناقدة أدبية وموسيقية لجريدة “النهار” اللبنانية منذ 1969. نشرت عشر روايات إضافةً إلى كتابين للأطفال وترجمات عديدة، أغلبها من الفرنسية إلى العربية. وصلت روايتها الخامسة “أنتعل الغبار وأمشي” إلى القائمة القصيرة للجائزة العالمية للرواية العربية عام 2008. أُصدرت روايتها باللغة الفرنسية بعد وفاتها في سنة 2019. تُعالج الرواية مشكلة الهوية العربية التي تشوهت بسبب الحروب التي مزّقت البلدان العربية، وخاصة بسبب الحركات الإسلامية المتطرفة التي تلجأ الى العنف والإرهاب. من خلال الشخصية الرئيسية، تعرض الكاتبة معاناة شاب سوري ترعرع في ميتم لندني بعدما تم إنقاذه عندما كان طفل من قبل جمعية إنسانية من براثين الحرب الشرسة التي كانت تعصف في سوريا. أعرب الشاب ” أسمر” عن حاجته للعودة إلى جذوره وترميم ذاكرته التي محاها الزمن للوصول إلى جذوره. لقد كان حافزالعودة إلى الوطن الأم مشهد طفل سوري عيونه مغرورقة بالدموع في فيلم وثائقي ينقل هول المأساة السورية. ترتكزدراسة الرواية على النقد الموضوعاتي استناد”ا إلى أعمال Bachelardو Durand كما على بعض المراجع في علم النفس. من خلال الدراسة يظهرحاجة العالم العربي في إيجاد الطريق إلى الخلاص عن طريق العودة الى الذات والتواصل الصادق مع الله بغض النظرعن الإنتماء الديني. فكيف يؤثر اندثار الهوية العربية على خلق هوية فردية مشوهة؟ وما السبيل إلى جمع شتات مجتمع عربي ممزق بالحروب والمآسي؟

الدكتورة غنى علي السيد، أستاذة محاضرة في الجامعة اللبنانية، كلية الآداب، الفرع الخامس.

[1] Professeur de littérature française à l’Université Libanaise, section V

[2] MENASSA, May, L’Enfant aux yeux pleins de larmes, Encre d’Orient, Erick Bonnier, Paris 2019, pp. 327, p.8

[3] https://www.psychologies.com, mars 2010.

[4] MENASSA, May, op.cit., p.20

[5] PORGE, Erik, Les Noms du père chez Lacan J., Ères, Toulouse, France, 1997, pp. 139-143

[6] MENASSA, May, op.cit., p.16

[7] RICOEUR, Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, pp. 146-147

[8] Ibid., pp.146-147

[9] MENASSA, May, op.cit., pp.35-36

[10] https://lacanquotidien.fr/blog/2012/02/lacan-quotidien-n145

[11] DURAND, Gilbert, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Dunod, Paris, 2002, p.153

[12] MENASSA, May, op.cit., p. 36

[13] MENASSA, May, op.cit., p.8

[14] DURAND, Gilbert, op.it., p.104

[15] CHEVALIER, Jean, ALAIN, GHEERBRANT, Dictionnaire des symboles, Éd. Robert Laffont /Jupiter,

   Bouquins,  Paris, 2005, p.285

[16] DURAND, Gilbert, op.cit., p.351

[17] MENASSA, MAY, op.cit., p. 62

[18] Ibid., p. 65

[19] DURAND, Gilbert, op.cit., p. 253

[20] MENASSA, May, op.cit., pp. 65-66

[21] Ibid., p.11

[22] CHEVALIER, Jean, ALAIN, GHEERBRANT, op.cit., p. 1023

[23] LACAN, Jacques, Question préliminaire à tout traitement possible de la psychose, Seuil, Paris, 1966, p. 549

[24] MENASSA, May, op.cit., p.28

[25] BACHELARD, Gustave, L’Air et les songes, Corti, Paris, 1943, p.55

[26] DURAND, Gilbert, op.cit., p.168

[27] ELIADE, Mircea, Le Sacré et le profane, Gallimard, Paris 1987, pp. 46-47

[28] MENASSA, May, op.cit., p.38

[29] RICOEUR, Paul, op.cit., p. 380

[30] MENASSA, May, op.cit. p.p. 182-183

[31] DURAND, Gilbert, op.cit., p.248

[32] MENASSA, May, op.cit., p. 182-183

[33] Ibid., p. 186

[34] Ibid., p.49

[35] https://www.cairn.info/revue-spirale-2001-3-page-41.htm

[36] MENASSA, MAY, op.cit., p.52

[37] DURAND, Gilbert, op.cit., p.144

[38] MENASSA, May, op.cit., pp.48-49

[39] DURAND, Gilbert, op.cit., p. 167

[40] https://www.cairn.info/revue-spirale-2001-3-page-41.htm

[41] MENASSA, May, op.cit., p.52

[42] BACHELARD, Gaston, Les Eaux et les rêves, Corti, Paris, 1942, p.72

[43] MENASSA, May, op.it., p.79

[44] Ibid., p.29

[45] MENASSA, May, op.cit., p.22

[46] https://paix-interieure.com/tag/interpretation-du-regard/

[47] BACHELARD, Gustave, les Eaux et les rêves, op.cit., p.102

[48] MENASSA, May, op.cit., p.p. 30-31

[49] Ibid., p.54

[50] Ibid, p. 30

[51] CHEVALIER, Jean, ALAIN, GHEERBRANT, op.cit., p.843

[52] MENASSA, May, p.30

[53] DURAND, Gilbert, op.cit., p.99

[54] MENASSA, May, op.cit., p. 33

[55] Ibid., p.33

[56] DURAND, Gilbert, op.cit., p.122

[57] MENASSA, May,op.cit., p. 31

[58] DURAND, Gilbert, op.cit., p. 95

[59] MENASSA, May, op.cit., p. 31

[60] ELIADE, Mircea, Mythes, Rêves et mystères, Gallimard, folio essais, Paris, 1957, p. 277

[61] MENASSA, May, op.cit., p.32

[62] MENASSA, May, op.cit., p.94

[63] Ibid., p.92

[64] Ibid., p.289

[65] DURAND, Gilbert, op.cit., p.95

[66] MENASSA, May, op.cit., p. 106

[67] Ibid., p.p. 112-113

[68] MENASSA, May, op.cit., p. 263

[69] Ibid., p. 119-120

[70] ELIADE, Mircea, Mythes, Rêves et mystères, op.cit., p 142

[71] CHEVALIER, Jean, ALAIN, GHEERBRANT, op.cit., p. 19

[72] MENASSA, May, op.cit., p. 120

[73] Ibid., p. 120

[74] Ibid., op.cit., p. 141

[75] https://iqri.org/qui-est-dieu-dans-le-coran/

[76] MENASSA, May, op.cit., p. 151

[77] DURAND, Gilbert, op.cit., p. 99

[78] LACARIÈRE Jacques, Au Cœur des mythologies, folio, 2002, p, 570

[79] MENASSA, May, op.cit., p.151

[80] Ibid., p. 326

[81] DURAND, Gilbert, op.cit., p. 97

[82] MENASSA, May, op.cit., p. 41

[83] DURAND, Gilbert, op.cit., p. 256

[84] Ibid., p.255

[85] MENASSA, May, op.cit., p.273

[86] CHEVALIER, Jean, ALAIN, GHEERBRANT, op.cit., p.451

[87] MENASSA, May, op.cit., p.42

[88] DURAND, Gilbert, op.cit., p.256

[89] MENASSA, May, op.cit., p. 71

[90] Durand, Gilbert, op.cit., p.256

[91] MENASSA, May, op.cit., p. 271

[92] Ibid., p. 110

[93] BACHELARD, Gustave, L’Air et les songes, op.cit., p. 104.

[94] DURAND, Gilbert, op. cit., p. 78.

[95] MENASSA, May, op. cit., p. 110.

[96] MENASSA, May, op. cit., p. 244.

[97] Ibid. p. 25.

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